La stratégie de l’édredon
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- Catégorie : Diabloguiste
- Publié le jeudi 25 janvier 2024 10:43
- Écrit par Claude Séné
Je croyais que j’aurais été bien seul à faire remarquer que le pouvoir macronien traitait les manifestations paysannes avec une grande tolérance, à laquelle il ne nous avait pas habitués. Visiblement, le ministre de l’Intérieur, sur ordre de son supérieur hiérarchique, a donné des consignes d’apaisement et de non-intervention aux préfets, avant de disparaître mystérieusement pour s’occuper de tâches sans doute plus importantes. Aucune déclaration publique de Gérald Darmanin depuis le début du mouvement. Tout se passe comme si le pouvoir avait décidé de laisser les agriculteurs faire à leur guise et cogner inlassablement sur l’édredon moelleux qui protège les puissants, en espérant qu’ils finiront bien par se lasser d’eux-mêmes et retourner à leurs exploitations.
Or, non seulement l’ensemble des partis politiques déclare soutenir sans réserve le mouvement de protestation, qu’ils ont quand même pour certains largement contribué à provoquer par leurs décisions passées ou présentes, mais la plupart des observateurs, y compris les agriculteurs, ont remarqué la bienveillance des autorités, qui contraste avec la sévérité de la répression quand il s’agit d’autres classes sociales qui expriment leur mécontentement. Pour tenter de noyer le poisson, les défenseurs du pouvoir actuel prétendent que les agriculteurs seraient par nature non-violents, les opposant aux écologistes radicaux qui obligeraient les forces de l’ordre à intervenir. Un argument qui vole en éclat après l’assaut de la préfecture d’Agen, aspergée de lisier et connaissant un début d’incendie pas précisément pacifique. J’ai même entendu un militant agricole défendre le mouvement tout en condamnant la violence, au nom de la fonction de production des paysans alors que les écologistes seraient des inutiles, des improductifs, qui de ce fait n’auraient aucune voix au chapitre.
Passons sur ce différend pour observer que les grandes manifestations contre la réforme des retraites ont rassemblé dans le calme et sur la durée, des travailleurs à qui ce reproche ne peut être fait. Et les consignes ont été beaucoup moins compréhensives. La répression est la règle en France, c’est le traitement de faveur envers les paysans qui est l’exception et ne peut s’expliquer que par la peur panique d’un monde auquel le pouvoir actuel ne comprend rien. La situation me parait illustrer la phrase de Jean Cocteau dans les mariés de la tour Eiffel : « Puisque ces mystères me dépassent, feignons d’en être l’organisateur. » Emmanuel Macron, en croyant gagner du temps par la force d’inertie de son administration, ne fait en réalité qu’en perdre. Plus le temps va passer, plus le mouvement se radicalisera, et plus il sera difficile de trouver des solutions acceptables. La crise des gilets jaunes a démontré que le président Macron a été obligé au bout du processus de lâcher 17 milliards pour calmer la grogne, sans pour autant satisfaire durablement les Français. À combien se montera la facture cette fois-ci et combien de temps pourra durer une paix sociale achetée à prix d’or ?
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