Impensable

Ce qui se produit en ce moment à la Cour internationale de Justice de La Haye, relève pour l’État d’Israël de l’impensable. Son gouvernement doit répondre devant cette émanation de l’ONU de l’accusation de génocide portée contre lui par l’Afrique du Sud à cause de ses « opérations spéciales » visant les populations civiles dans la bande de Gaza en représailles de l’attaque du Hamas le 7 octobre dernier. En dehors des argumentations précises sur les faits, c’est le principe même de cette plainte qui est contesté, comme si, depuis l’horreur absolue qu’a représentée la Shoah et l’extermination des juifs par le pouvoir nazi, le peuple juif dans son ensemble et les dirigeants qui le conduisent, ne pouvaient être que d’éternelles victimes, à raison même de leur religion et leur appartenance à un état religieux, qui se définit comme tel.

Et pourtant, même si c’est le Hamas qui a déclenché les récentes hostilités avec des prises d’otages et des assassinats de civils en grand nombre, la riposte israélienne est considérée par une grande partie de la communauté internationale comme totalement disproportionnée, et fût-elle comparable, un état respectueux du droit des peuples d’être traités avec humanité, quels que soient les crimes commis par ses dirigeants, devrait se limiter à punir les coupables et à demander réparation, et non à se faire justice soi-même. Si n’importe quel pays membre de la CIJ peut saisir cette instance, il n’est pas indifférent que ce soit une nation qui a dû se libérer du fléau de l’apartheid à son corps défendant, qui a déposé cette plainte, seule. Ni les États-Unis ni les pays européens, qui avaient soutenu une initiative similaire à la suite de l’invasion de l’Ukraine, n’ont cette fois participé à la démarche. Comme si le statut de victimes des nazis permettait aux Israéliens de n’en faire qu’à leur tête en utilisant la mauvaise conscience occidentale.

Dans ce conflit asymétrique, Israël a toujours justifié ses décisions par la menace existentielle qui pèserait sur sa survie. Il argumente sur le fait qu’il doit gagner toutes les batailles sous peine de disparaitre purement et simplement. Cela ne lui donne pas le droit d’exterminer les Palestiniens sous prétexte qu’ils ont laissé le Hamas diriger la bande de Gaza après avoir tout fait pour disqualifier l’Autorité palestinienne qui aurait pu devenir un interlocuteur dans le cadre d’une négociation pour une paix désormais encore plus lointaine. Ce qui se joue à La Haye en ce moment, ce n’est pas une décision sur le fond de l’accusation de génocide, dont l’intentionnalité sera difficile à prouver, et qui demandera du temps, mais la reconnaissance par les parties opposées d’une instance supérieure pouvant imposer des règles communes reconnues. Un cessez-le-feu qui interviendrait maintenant pourrait servir de base à de nouveaux pourparlers passant par la garantie à chaque état de frontières sûres et reconnues, préalable indispensable à toute solution négociée. Est-ce si impensable ?