L’Union (européenne) fait la force ?

J’ai une bonne et une mauvaise nouvelle pour l’Union européenne, je commence par laquelle ? La bonne ? D’accord. Alors que l’on s’attendait à des discussions interminables pour persuader la Hongrie d’accepter de lancer les négociations concernant l’entrée éventuelle de l’Ukraine dans la communauté européenne, le Premier ministre, Viktor Orban, a très opportunément pris sa pause pendant la réunion des chefs d’État à Bruxelles, ce qui lui a permis de ne pas participer au vote, alors que la décision réclamait l’unanimité des pays membres. Par ailleurs, on apprenait qu’une partie des fonds européens retenus jusqu’alors pour sanctionner les manquements démocratiques de la Hongrie, 10 milliards d’euros, ont été versés en considération de « progrès » largement hypothétiques dans ce domaine.

Nul besoin d’être grand clerc pour comprendre que l’UE a acheté l’abstention de la Hongrie, mais Viktor Orban, fort de ce premier succès, entend bien monnayer chaque geste que l’Europe lui demandera. Et cela n’a pas tardé. La Hongrie s’est opposée, dans la foulée, au déblocage d’un plan d’aide à l’Ukraine de 50 milliards tant que les fonds européens gelés ne lui seront pas intégralement versés. Ce chantage constitue à lui seul la mauvaise nouvelle annoncée plus haut et démontre la fragilité des institutions européennes, dont le fonctionnement peut être paralysé du fait d’un seul état membre, au gré des alternances politiques. La demande d’adhésion de l’Ukraine, mais aussi de la Moldavie et d’autres pays des Balkans, répond essentiellement à des intérêts géostratégiques. J’ai été longtemps hostile à un élargissement continu d’une union devenant pratiquement ingouvernable, mais il faut considérer positivement l’arrimage de pays voisins aux valeurs démocratiques, menacées par des visées expansionnistes, suivez mon regard…

En revanche, les règles d’unanimité pour la plupart des décisions importantes ne peuvent plus être maintenues, car elles donnent un pouvoir de véto exorbitant à n’importe quel pays, au détriment éventuel du plus grand nombre. Il existe dans les instances européennes un autre mode de prise de décision, celui de la majorité qualifiée, beaucoup plus adapté. Pour emporter une décision importante, il est nécessaire de regrouper au minimum 55 % des états membres, soit 15 pays actuellement, représentant au moins 65 % de la population européenne. Dans une Europe élargie, la question de la gouvernance se repose avec acuité. Le temps n’est plus où la politique générale de l’UE était largement influencée par le « couple franco-allemand ». La plupart des sommets européens étaient précédés par des rencontres bilatérales où les discussions préparaient les compromis, que les autres pays membres approuvaient souvent. La sortie de la Grande-Bretagne a également contribué à rebattre les cartes du pouvoir sur le continent. Il est sans doute temps de saisir l’occasion de revoir les règles qui font d’un géant économique un nain politique selon l’expression consacrée.