Économies pour les nuls

Comme vous, j’entends parler de statistiques sur les augmentations de prix et les pourcentages d’inflation, mais cela reste un peu abstrait. Rien ne vaut un exemple concret pour comprendre l’évolution des prix à la consommation. J’ai conscience que celui que j’ai choisi n’est pas représentatif des achats courants de la plupart de mes concitoyens et mon intention n’est nullement de me faire plaindre, sachant que beaucoup de personnes sont en situation bien plus délicate que la mienne. Sachez donc que depuis longtemps, et pour des raisons aussi pratiques que gustatives, j’ai opté pour l’achat d’un croissant à mon petit déjeuner.

Ces croissants, que j’achète par 8 pour les congeler hebdomadairement, valaient 3,70 euros jusqu’au 13 avril dernier, avant d’augmenter brutalement à 4,85 euros la semaine suivante. Vous me direz que je peux encore débourser la somme de 1,15 euro par semaine sans risquer la banqueroute ni même devoir renoncer à ce petit confort. Un rapide recours à ma calculette m’apprend quand même que l’augmentation est de trente et quelques pour cent, soit près du tiers de sa valeur. On est très au-dessus du niveau global de l’inflation, estimé à 5 ou 6 %, et même de celui des fruits et légumes, que l’on évaluait autour de 15 à 17 %. Une hausse qui apparait à contretemps, alors que les cours des matières premières ont tendance à se stabiliser. Le phénomène apparait également sur d’autres produits, en particulier le prix du carburant. Alors que le prix du baril a retrouvé un niveau d’avant la crise, le prix à la pompe reste élevé, et plus encore en France que dans d’autres pays européens. Si les boulangers peuvent éventuellement considérer que la hausse de leurs tarifs est nécessaire à la reconstitution de marges rémunératrices, il n’en va pas de même pour les pétroliers, qui n’ont pas cessé de faire des profits de plus en plus indécents, dont profitent essentiellement les actionnaires et les dirigeants.

Même le ministre de l’Économie, quand ses activités littéraires lui en laissent le loisir, s’émeut de cette situation qui pénalise à l’évidence davantage les « petites gens » comme dirait son président, que les nantis comme moi qui peuvent se payer leur croissant quotidien. Alors il gronde les distributeurs et fait les gros yeux aux industriels qui ne sont pas raisonnables selon lui, pour les inciter à modérer leurs tarifs. Il se heurte évidemment à la voracité des grands groupes, bien décidés à tirer parti au maximum du flou qui entoure les marchés de la consommation, où l’offre et la demande, régies par un libéralisme peu régulé, servent de boussole et permettent la suprématie des plus forts. On se consolera comme on peut en réécoutant Boby Lapointe, quand il explique qu’il mendie toute la semaine pour pouvoir acheter un croissant au chien, le dimanche, pour mettre le bourgeois en pétard.