Huis clos

Quelle image saisissante que celle du président de la République remontant les Champs Élysées déserts pour commémorer la victoire des Alliés sur l’Allemagne nazie du 8 mai 1945 ! Quel meilleur symbole de la fracture entre le chef de l’état et la majorité de la population que cet isolement qui n’a rien de superbe, mais qui symbolise la liberté très encadrée de notre société. De quoi le président a-t-il si peur ? Pas d’un attentat, malgré les fables convenues délivrées par les autorités pour justifier l’interdiction de manifestation, et même de rassemblement, aussi pacifique soit-il.

Non, ce que redoute le pouvoir, c’est un signe du rejet de la personne même d’Emmanuel Macron, sous forme de tintamarre ou de charivari, voire de tohu-bohu, de ramdam ou de boucan, dans des concerts de batteries de cuisine. Cachez ce bruit que je ne saurais entendre. Éloignez ces marauds, ces faquins, qui n’ont aucun savoir-vivre. Qu’ils tapent sur leurs bambous s’ils y tiennent tant, mais à distance respectueuse pour ne pas effaroucher les présidentielles oreilles si sensibles à la moindre forme de critique. Les beaux esprits qui nous dirigent n’ont pas manqué de faire remarquer le mauvais goût de la populace qui a le culot de manifester le jour anniversaire de la victoire patriotique sur le mal absolu. Pire encore, les protestataires de tous poils ne respectent vraiment rien, pas même le souvenir de Jean Moulin, réservé aux gens bien, qui utilisent son aura et son prestige de résistant pour tenter de redorer leur blason en confisquant son image.

Mais il serait faux de prétendre que les manifestations sont bâillonnées en France. Quelque 500 militants d’extrême-droite ont pu défiler librement à Paris samedi dernier, sans être le moins du monde dérangés par les forces de police. Ils étaient pourtant cagoulés pour préserver leur anonymat, ce qui aurait suffi pour leur administrer de sérieuses bastonnades s’ils s’étaient réclamés de l’antifascisme. Le préfet de police de Paris a fourni quelques explications embarrassées qui ne convaincront personne pour justifier sa neutralité bienveillante. À ceux qui prétendent que nos libertés individuelles ont pris ces derniers temps de sérieux coups sur la cafetière, on me permettra de réfuter leurs arguments par la déclaration d’un des derniers remparts contre l’arbitraire, le ministre-écrivain Bruno Le Maire, qui défend à la fois sa mission de service public, son talent personnel et les droits individuels en clamant sa « liberté d’écrire », comme si elle était menacée. On sait très bien qu’en France, il suffit d’être connu au préalable pour pouvoir publier. Il n’est même pas nécessaire d’écrire le livre, si l’on a les moyens de rémunérer un auteur. Au vu des « bonnes feuilles » du roman ministériel, il ne fait guère de doute qu’il l’a fait lui-même.   Ce qui interroge, c’est comment il trouve le temps de s’occuper de son ministère, qui serait, parait-il, assez prenant.