La volonté du peuple

Sans être des foudres d’histoire avec une grande hache, nous connaissons tous la célèbre formule attribuée à Mirabeau : « Allez dire à ceux qui vous envoient que nous sommes ici par la volonté du peuple, et qu’on ne nous en arrachera que par la puissance des baïonnettes ». Cette phrase aurait été prononcée le 23 juin 1789 pendant les États généraux, prélude à la Révolution française, et après le non moins fameux Serment du Jeu de Paume, prêté par les députés pour s’engager à ne se séparer qu’après avoir rédigé une Constitution pour la France.

Cet épisode montrait déjà le hiatus entre le pouvoir officiel et celui du pays réel, qui était en train de basculer en faveur des opprimés, exprimant leur mécontentement par la voix de représentants dans le Tiers-état principalement, et par les cahiers de doléances. La crise démocratique que nous traversons actuellement, et que le président de la République s’obstine à nier, est essentiellement un conflit de légitimité. Emmanuel Macron s’attache à une lecture littérale de nos institutions. Un élu, quel que soit son niveau de responsabilité, est désigné par une procédure de vote et n’a pas l’obligation de rendre compte de son action avant le terme du mandat qui lui a été confié. Cette indépendance vis-à-vis de ses mandants peut avoir ses avantages lorsque l’élu a l’intention de se représenter. Il a alors intérêt à démontrer aux électeurs qu’ils peuvent lui renouveler leur confiance. Dans le cas contraire, la tentation est grande de se substituer au peuple souverain et d’imposer ses vues sans tenir compte de leur avis. C’est exactement ce que fait actuellement le président, alors même qu’il ne dispose pas de la majorité dans les assemblées représentatives.

Nous sommes toujours régis par la Constitution de 1958, agrémentée de plusieurs modifications qui en ont complètement altéré le sens, notamment l’élection présidentielle au suffrage universel, ramenant le mandat à 5 ans et faisant succéder les législatives à celle du président. Nous en voyons le résultat avec une concentration des pouvoirs entre les mains d’un seul homme, monarque plus absolu que dans l’Ancien régime, régnant sur des sujets supposés dévoués à sa cause, victimes volontaires d’un dévoiement de la République. Ce qui était déjà contestable quand le président disposait de l’assentiment majoritaire de la population, comme de Gaulle, auréolé du prestige de la Résistance, est devenu totalement intolérable quand le dirigeant prétend se substituer au peuple dont il tire sa légitimité. Faut-il un changement de république pour rendre au peuple le pouvoir qu’il n’aurait jamais dû abandonner ? Pourquoi pas ? Mais une simple modification des modalités de vote, remplaçant le scrutin uninominal à deux tours qui renforce les clivages entre une majorité et une opposition, par une forme de proportionnelle, aurait déjà des conséquences importantes.