Légion d’honneur

Le fonctionnaire de l’administration fiscale qui a été tué par un brocanteur au cours d’une vérification de ses comptes sur ses lieu de travail et domicile confondus va recevoir la Légion d’honneur à titre posthume. Une manière pour le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, d’exprimer la reconnaissance de la nation envers un de ses serviteurs, tombé dans l’exercice de ses fonctions, en effet, mais d’une manière assez différente de celle des militaires, par exemple, qui forment les plus gros bataillons des personnes distinguées par cette décoration. En effet, le contrôleur, même s’il a probablement été parfois mal reçu, n’imaginait sans doute pas mettre son existence en danger en effectuant son travail.

La Légion d’honneur a été créée par Napoléon 1er en 1802 pour distinguer et récompenser les sujets les plus méritants. D’une part les soldats ayant fait preuve d’une bravoure exceptionnelle, et déjà, des civils ayant démontré des mérites « éminents » au service de la patrie, dans des domaines les plus divers. Tout en partageant l’émotion de la famille et des proches du contrôleur, il me semble qu’il n’a eu comme ambition que de bien faire son métier, ce qui en fait une personne estimable, mais au même titre que ses collègues, eux aussi au service de l’état. On voit bien que son seul tort aura été de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment, pour autant qu’on le sache, et qu’il serait devenu un héros malgré lui, sans l’avoir cherché. On se souvient, a contrario, du lieutenant-colonel Arnaud Beltrame, tué par un terroriste islamiste après avoir pris la place d’une caissière de supermarché retenue en otage, et qui a été lui aussi décoré à titre posthume de la Légion d’honneur.

Il est permis de s’interroger sur le sens même de cette décoration, quand on sait que Napoléon lui-même considérait ces honneurs comme des hochets, lui permettant de faire tenir le tissu social. À l’avantage concédé par la naissance, et l’héritage, il voulait adjoindrer une hiérarchie parallèle, fondée sur le mérite, selon laquelle tout soldat aurait dans sa besace un bâton de Maréchal. C’est donc un précurseur de ce que nous connaissons aujourd’hui sous le nom de méritocratie, et qui, à mon sens, présente le grave inconvénient de laisser la masse du peuple dans sa condition en faisant miroiter un avenir meilleur pour quelques-uns. C’est peut-être la raison pour laquelle certaines personnalités connues ont refusé la décoration. Citons par exemple Brigitte Bardot ou Guy Bedos, que rien ne rassemble, ou l’un des derniers en date, Thomas Piketty, proposé en 2015, et qui ne jugeait pas opportun qu’un gouvernement décide de qui mérite, ou non, d’être distingué. Il est vrai que se retrouver en compagnie du dictateur Syrien Bachar El -Asad, avant qu’il en soit déchu, n’est pas si enviable.