Sous la ceinture

Même dans un sport visiblement brutal tel que la boxe, il existe un certain nombre de règles destinées à codifier la pratique et à éviter que le « noble art » dégénère en vulgaire pugilat. Parmi celles-ci, on relève l’interdiction faite à chacun des combattants de porter des coups en dessous de la ceinture. Auquel cas, on parle de « coup bas », qui est devenu un synonyme de traitrise. Ce qui vient de se passer à propos de la réforme de l’assurance chômage voulue par le gouvernement est une forme de forfaiture, car il s’agit ni plus ni moins que de découpler la solidarité nationale et la situation des demandeurs d’emploi.

Jusqu’ici, bon an, mal an, les salariés et les employeurs arrivaient à se mettre d’accord sur des cotisations pour financer l’indemnisation des personnes privées d’emploi, même si les représentants du patronat se faisaient tirer l’oreille pour limiter leur contribution au système. Progressivement, le doute originel a pris le pas sur toute autre considération. Dans l’esprit des dirigeants, le demandeur d’emploi est devenu un tire-au-flanc, cherchant à vivre aux crochets de la société sans se fatiguer. Au lieu de faire diminuer le chômage, l’enjeu est devenu de faire la chasse aux chômeurs eux-mêmes, afin de les sortir du décompte. La philosophie commune à toutes les réformes successives de l’assurance chômage répond à cet impératif, devenu un symbole politique. Le moindre temps partiel, la plus petite formation est un moyen de faire sortir des salariés des statistiques. Ce petit jeu est aussi ancien que l’assurance chômage elle-même.

Les nouveaux textes en préparation avec la complicité des Républicains, prêts à collaborer sur ce point avec un pouvoir honni par ailleurs, ont un volet de ce type : des indemnisations plus faibles et plus difficiles à obtenir, pour traquer les chômeurs volontaires, en oubliant sciemment qu’ils ne sont qu’un pourcentage dérisoire. Mais surtout une modulation de l’indemnisation en fonction de la conjoncture économique. On change le système non plus de degré, mais de nature. Grosso modo, on passe d’un système déjà très injuste où le salarié pouvait percevoir une indemnisation proportionnelle aux cotisations qui permettaient d’abonder le fond, donc répétant et amplifiant les inégalités de traitement selon son emploi précédent, à un autre soumis purement et simplement aux lois du marché et à l’offre et la demande en main-d’œuvre à un moment précis. En clair, lorsque le taux de chômage approche de ce que l’idéologie libérale appelle « le plein emploi », autour de 5 %, que la main-d’œuvre est rare, on indemnisera mieux les chômeurs que si elle est abondante. Autrement dit, Emmanuel Macron, avec l’aide de supplétifs de droite, est en train de consacrer le règne du capitalisme triomphant dont les salariés ne seraient qu’une variable d’ajustement. Cela ne surprendra que les dupes volontaires qui ont cru ses belles paroles de campagne électorale.