Habillés pour l’hiver

On a beaucoup insisté ces derniers temps sur le déni de démocratie que constitue le recours systématique à l’article 49 alinéa 3 de la Constitution, qui permet de faire adopter sans vote une loi, sauf à faire chuter le gouvernement par l’intermédiaire d’une motion de censure. Cette solution de facilité, malgré tous ses inconvénients sur lesquels il est inutile de revenir ici, présente l’avantage de gagner un temps considérable sur des discussions dont on ne tenait jamais compte de toute façon. C’est donc grâce au 49.3 que le bureau de l’Assemblée a trouvé le temps de délibérer sur un point crucial du règlement, la tenue vestimentaire.

En effet, l’Assemblée nationale dans sa grande sagesse et l’article 9 de l’instruction générale, prévoit que les députés doivent porter une tenue vestimentaire « neutre et s’apparenter à une tenue de ville » pendant les séances dans l’hémicycle. On pourrait croire que le flou volontaire de la formulation est de nature à couvrir toutes les situations mêmes imprévues, mais des députés ont fait de cette question un enjeu s’apparentant à la querelle des anciens et des modernes. Dès la rentrée parlementaire suivant les élections de 2017, les Insoumis ont marqué leur différence en s’abstenant de porter la cravate jusque-là partie intégrante de l’uniforme des députés, bien que facultative. Désormais, le nouveau règlement ne la rendra pas obligatoire, mais il sera nécessaire de porter une veste, quel que soit le col, roulé ou non, ouvert ou fermé… ne me demandez pas pourquoi. Le blue-jean sera toléré, mais non les « baskets » ou apparentés. Pas question de bermudas, de claquettes ou autres tenues de plage non plus, évidemment, même si le temps tourne à la canicule l’été prochain.

Curieusement, il n’y a que les tenues masculines qui sont visées par ces nouvelles dispositions. Il n’y aura donc pas de débat sur une éventuelle journée de la jupe dans l’hémicycle. Les femmes députées conserveront le droit de s’habiller comme elles l’entendent, à condition de supporter les remarques misogynes, voire les cris d’animaux quand elles veulent prendre la parole. Car l’enjeu de cette discussion sur les tenues vestimentaires est ailleurs. J’en veux pour preuve le récent incident de séance au cours duquel la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, a effectué un rappel au règlement à l’encontre du député la France insoumise Rodrigo Arenas, qui avait mis un brassard « en grève » à l’instar des personnels hospitaliers, pour protester contre l’utilisation abusive du 49.3. Déjà, en 2017, François Ruffin avait écopé d’une « amende » pour avoir siégé en arborant le maillot d’un petit club de foot. Et en 2018, Jean Lasalle avait aussi été sanctionné pour avoir porté un gilet jaune en séance. Paradoxalement, on voit par-là que le règlement vestimentaire a surtout pour objectif d’anesthésier la parole contestataire, sous couvert d’une « tenue correcte ».