Hypocrite lecteur

Mon semblable, mon frère. Tu es comme moi, ou serait-ce l’inverse ? Au moment de choisir le thème de ce billet quotidien, je n’ai que l’embarras du choix. L’actualité qui me commande est par essence changeante et volatile. Parfois, un sujet s’impose avec la force de l’évidence, mais le plus souvent, plusieurs informations pourraient mériter un traitement et postulent à attirer mon attention, et peut-être la vôtre. Parmi celles-ci, je reconnais être attiré par ce que l’on appelle des faits divers, qui regroupent des informations souvent disparates, mais généralement violentes et qui focalisent l’attention, bien au-delà de leur intérêt propre.

C’est ainsi qu’après le drame affreux survenu à la jeune Lola, c’est la mort de Justine qui accapare provisoirement le flux des médias et des réseaux sociaux. Cette fois, la droite réactionnaire et xénophobe n’a pas de prétexte à déverser ses commentaires haineux et à étaler sa phobie des étrangers. Le principal suspect est un enfant du pays, « un gars ben ordinaire » aurait chanté Charlebois, que rien ne semblait prédisposer à un passage à l’acte criminel, mais que tout accuse. Alors, curieusement, c’est à la victime que semblent réservées les critiques les plus virulentes. Les amies de Justine ont tenté de défendre la jeune femme qui a fait l’objet d’attaques en règle sur les réseaux sociaux, sur le thème habituel d’un mode de vie jugé critiquable. Trop libre, peut-être ? Comme si quelque circonstance que ce soit pouvait justifier l’agression dont elle a été victime. Justine était mère d’un petit garçon de deux ans, et ses amies se sont appliquées à la décrire comme une « maman » exemplaire, reflet en creux d’attaques probables sur sa fréquentation d’une discothèque.

Si la psychanalyse a pu donner l’impression que l’origine de la plupart des désordres psychiques remontait à la petite enfance et par conséquent soulignait le rôle essentiel de la relation mère-enfant, il serait faux d’en conclure à la culpabilité d’une mère forcément toxique pour expliquer les troubles de la personnalité atteignant certains enfants. Les amies de Justine n’ont pas besoin de l’idéaliser, même si leur analyse est probablement juste. C’est un psychanalyste anglais, Donald Winnicott, qui a développé et popularisé le concept de « mère suffisamment bonne », pour décrire la relation qui s’instaure entre l’enfant et sa mère. Elle n’a pas besoin d’être parfaite, il suffit qu’elle permette à son enfant de s’affranchir progressivement de son influence pour construire sa propre autonomie en toute sécurité. Paradoxalement, une mère trop bonne, qui ne laisse aucun espace, aucun répit à son nourrisson, peut retarder ou compromettre son évolution. Apparemment, Justine était une jeune femme de son temps, avec un mode de vie similaire à celui d’autres jeunes de son âge, une femme « normale » en somme, et c’est ce qui donne à sa mort ce caractère de proximité qui fait que les faits divers nous touchent autant.