Qui a tué Stéphanie ?

Stéphanie, c’est cette jeune femme de 22 ans, tombée sous les coups de couteau de son conjoint violent, lui-même âgé de seulement 23 ans, déjà incarcéré pour des délits routiers, dont la peine venait d’être aménagée avec le port d’un bracelet électronique. Stéphanie avait déjà déposé plainte pour des violences conjugales, et son compagnon avait proféré des menaces publiquement au cours d’un parloir. Des menaces mises à exécution en pleine rue, à proximité de son domicile, possiblement sous les yeux de la petite fille du couple, âgée de 3 ans et demi.

Stéphanie serait la 43e femme tuée par conjoint ou ex-conjoint depuis le début de l’année, ce qui correspond peu ou prou à la statistique de 2020, où les associations ont décompté 90 homicides conjugaux, un chiffre en nette baisse par rapport à 2019 qui ne comptait pas moins de 146 « féminicides ». Pour des raisons qui restent à établir, le confinement aurait contribué à une diminution des cas mortels, tandis que le niveau global des violences intrafamiliales y compris sur les enfants, lui, a augmenté. Au moment où police et justice se renvoient la balle par ministres et syndicats interposés sur la responsabilité des uns et des autres dans la lutte contre la délinquance, le cas de Stéphanie illustre malheureusement la faillite d’un système incapable d’empêcher la survenue de tels drames. En première ligne se trouvent les policiers. Stéphanie a été tuée tout près d’un commissariat, fermé à cette heure-là, mais qui n’aurait sans doute pas dissuadé l’agresseur dans sa folie meurtrière. La victime avait porté plainte, ce qui reste difficile pour des tas de raisons, en particulier le manque de formation à accueillir cette démarche difficile pour celle qui l’effectue, et la pénurie chronique de moyens dans ce service public comme dans d’autres.

C’est aussi le cas pour l’institution judiciaire, accusée ici de ne pas avoir donné suite aux alertes qui auraient peut-être sauvé la vie de Stéphanie. La justice manque cruellement de moyens, tant en magistrats qu’en personnel administratif, et les outils spécifiques de lutte contre la violence conjugale, le bracelet anti-rapprochement et le téléphone d’urgence absolue sont notoirement en nombre insuffisant. Ce qui est en cause, c’est une question de priorités politiques. L’opinion publique a commencé à bouger. Ce qui était autrefois qualifié de « crime passionnel », qui sous-entendait une excuse d’aveuglement du conjoint violent atténuant sa responsabilité et la gravité de son geste, est maintenant considéré comme un homicide à part entière, entraînant les mêmes conséquences pénales. Tous les signes avant-coureurs d’un passage à l’acte sont désormais recevables en droit et doivent être pris au sérieux. À la question un peu provocatrice de savoir qui a tué Stéphanie que je posais au début, la réponse ne devrait plus être : l’indifférence. Une société qui ne protège pas les plus vulnérables ne mérite pas d’être considérée comme civilisée.