Le prophète
- Détails
- Catégorie : Diabloguiste
- Publié le lundi 9 mars 2015 10:40
- Écrit par Claude Séné
Nul n’est prophète en son pays, affirme la sagesse populaire. Ce dicton, qui se révèle juste dans la plupart des cas, souffre, comme toute règle, d’exceptions notables. J’en veux pour preuve la clairvoyance du nouveau Tsar de toutes les Russies, réduites à une seule par un destin provisoirement funeste, Vladimir Poutine. Première prédiction du petit père des peuples qui s’est avérée, et avec quel éclatant succès : les coupables de l’assassinat de l’opposant Boris Nemtsov ont été arrêtés, comme prévu, à peine une semaine après la commission de leur forfait. Et il y en a même un qui a déjà avoué. Là, à mon humble avis, il a pris un peu d’avance sur le planning.
Sinon, le profil des coupables présumés (c’est comme la présomption d’innocence, mais à la mode caucasienne) est conforme au casting attendu. Les malfaiteurs sont d’origine tchétchène, ce qui contribue à les associer à une image de terroristes. Musulmans convaincus, ils pourraient avoir eu le désir de se venger des caricatures de Charlie Hebdo sur le symbole des Occidentaux. À peine cette hypothèse est-elle suggérée qu’elle se heurte au chef d’accusation officiel, beaucoup plus conforme à ce que le chef suprême avait deviné dès le début. Les coupables idéaux sont accusés « d’assassinats commis par un groupe de personnes agissant dans le but de s’enrichir ou sur commande ».
Voilà qui ouvre tout grand la porte à la suite attendue de la pantomime grand-guignolesque. Pour de l’argent ou par conviction, on va découvrir que les exécutants ont été manipulés par des commanditaires mystérieux qui ne peuvent que vouloir nuire au régime, ainsi que l’avait prédit le locataire actuel du Kremlin. Nous serons donc invités à gober la farce des puissances occidentales en général et de la CIA en particulier, qui auront monté une opération à tiroirs pour assassiner un sympathisant à leur cause tout en faisant porter le chapeau au pouvoir en place. Ce scénario tordu, digne des vieux films sur la guerre froide, présente un inconvénient. Si l’on admet qu’une telle machination est possible en territoire étranger, rien ne s’oppose à ce qu’on la retourne en l’attribuant aux services spéciaux russes, que connait particulièrement bien Vladimir Poutine qui a fait partie du KGB et a dirigé le FSB qui lui a succédé. Car il est bien connu que les prophéties les plus sûres sont celles que l’on réalise soi-même.