L’existence précède l’essence

Et l’existence, sans essence, n’est pas si facile, surtout si vous habitez une zone dépourvue de transports en commun, et que vous êtes bien obligé de prendre la bagnole pour aller travailler ou pour faire les courses. L’affirmation de Jean-Paul Sartre, selon laquelle l’homme existe, avant toute définition de ce qu’il est, est le fondement même de la théorie rattachée à son nom, l’existentialisme, qui pose comme principe notre libre arbitre. Sans mésestimer la réflexion philosophique, force est de reconnaître qu’un tel principe se heurte assez rapidement à un autre, le principe de réalité.

Notre liberté s’exerce dans un milieu très contingent, et pour certains, « la lutte obstinée pour le pain quotidien », chantée par Ferrat, absorbe la plus grande partie de l’énergie dont ils disposent. Et le renchérissement de l’énergie est précisément le point où se cristallise actuellement le mécontentement populaire. Cela coûte de plus en plus cher de se chauffer, de se déplacer, de se laver ou de faire la cuisine. Le gaz et l’électricité, ainsi que le carburant ou le fioul domestique, flambent. Les Français des classes moyennes en ressentent désormais les effets, qui s’aggravent pour les plus pauvres, et surtout ils se demandent, comme cette Bretonne qui interpelait récemment sur Facebook le président Macron, où va le pognon ? Si l’argent collecté par le biais des taxes sur les produits pétroliers était affecté à l’entretien des routes ou à une transition énergétique réelle, la pilule passerait mieux, mais on en est loin. Ségolène Royal parle d’arnaque écologique, et l’on ne peut pas lui donner tort, sur ce coup-là.

Le président et son gouvernement vont bien tenter de mettre quelques rustines pour gommer l’effet désastreux causé par les hausses annoncées qui vont se cumuler avec celles déjà en vigueur, mais ils sont coincés, comme l’a avoué à demi-mot le Premier ministre. L’état a besoin de ces recettes pour appliquer sa politique de réduction de la dette et du déficit, tout en continuant les cadeaux aux plus aisés. Ce qui est paradoxal, c’est que les mauvais coups les plus scandaleux qui ont déjà été portés, comme les ordonnances sur le droit du travail, ou ceux qui se préparent comme l’atteinte aux montants des retraites, ne soulèvent pas les masses, qui sont pourtant directement visées, alors que le prix de l’essence et du gasoil, lui, risque de mettre dans la rue un nombre considérable de mécontents. N’oublions pas que huit Français sur dix possèdent  une automobile, parfois deux ou davantage, sans parler de ceux qui en font un usage professionnel. À quelques mois des élections européennes, le pouvoir risque de méditer amèrement une autre formule sartrienne : « l’enfer, c’est les autres ».