La gueule du loup

Quoi ! ma gueule ! qu’est-ce qu’elle a ma gueule ? aurait pu chanter Johnny. En se rendant au salon de l’Agriculture pour une visite qui ne devrait pas compter moins de 10 heures, Emmanuel Macron sait bien qu’il prend un risque. Le risque de se faire infliger un shampoing aux œufs comme l’an dernier, alors qu’il n’était encore que candidat, ou de se faire apostropher par un monde paysan auquel il n’appartient manifestement pas. Il a tenté de déminer la confrontation en amont en recevant quelques centaines de jeunes agriculteurs, qui, pas dupes, attendent de le juger aux actes.

À toutes fins utiles, le président a quand même prévu trois costards de rechange pour pallier tout incident ou nouvelle agression maraîchère. Je suppose qu’il a dû se préparer à ce marathon gargantuesque en pratiquant un jeûne préventif, afin de pouvoir goûter à toutes les spécialités sur les stands. Quoi qu’il fasse, il ne pourra jamais égaler ou même approcher le record absolu détenu par Jacques Chirac, à qui enchaîner choucroute, cassoulet, quiche lorraine, crêpes bretonnes, saucisse de Laguiole, pissaladière, bœuf bourguignon et poule au pot n’a jamais fait peur, le tout arrosé de crus bourgeois ou de Corona. Ce qui n’est pas vraiment le style d’un président plus porté sur la culture que sur l’agriculture.

Là aussi, Emmanuel Macron ne craint pas de se frotter à de prestigieux prédécesseurs puisqu’on apprend qu’il va tenir le rôle du récitant dans une représentation du conte musical Pierre et le loup, qui sera donnée à l’Élysée jeudi prochain au profit d’enfants avec le concours de l’orchestre de la Garde républicaine. Il aura du mal à faire oublier l’interprétation mythique de Gérard Philippe qui a fait rêver de nombreux enfants, et aussi bien des adultes. Et la boucle avec le salon de l’agriculture sera bouclée quand on observera que l’un des sujets de préoccupation des agriculteurs, et spécialement des éleveurs de moutons, concerne précisément le plan loup. En 2018, il sera permis de « prélever », terme pudique pour tuer, uniquement 40 loups sur une population estimée à 360 têtes. Pendant ce temps, chaque loup pourra à sa guise prélever sa dîme sur les troupeaux mis à sa disposition, au grand dam des éleveurs, furieux de leur impuissance et mécontents d’une simple indemnisation, loin d’être automatique, d’ailleurs. Au bout du compte, le plan loup ne satisfait ni les agriculteurs ni les écologistes qui plaident pour une liberté totale des prédateurs. Peut-être une préfiguration de la déception que pourrait engendrer le fameux « en même temps » présidentiel qui tente toujours de ménager la chèvre et le loup.