Vous avez dit nationalisation ?

Oui. Enfin, non. Bon, techniquement, peut-être. En annonçant que l’état français allait faire jouer son droit de préemption sur les Chantiers navals de Saint-Nazaire, le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, a en effet acté une appropriation du moyen de production, et par conséquent une nationalisation de fait. Mais il s’est empressé de préciser que ce rachat n’était que provisoire et que l’état revendrait ses parts dès que possible. Il illustre ainsi une fois encore la politique du « et en même temps » qui permet à Emmanuel Macron de défendre tout et son contraire.

Il ne faut toutefois pas s’y tromper. Le président n’a pas viré sa cuti. Il ne s’est pas découvert brusquement une fibre sociale qui le pousserait à préserver les quelque 7000 emplois directs ou indirects des chantiers. Si c’était le cas, il n’aurait pas hésité à sauver également GM & S, qui sera peut-être repris, mais qui laissera au moins 150 ouvriers sur le carreau. Il ne faut pas voir derrière ce geste l’illustration d’une conviction économique et il faut s’attendre à ce que des privatisations plus ou moins franches viennent compenser, et au-delà, cette nationalisation forcée. Il n’y a pas grand-chose de commun avec les précédentes nationalisations opérées par François Mitterrand en 1981, ou celles du général de Gaulle à la Libération, et encore moins avec celles du Front populaire en 1936. Macron reste un libéral dans l’âme, mais il est aussi animé de la conscience de sa propre valeur, qu’il étend à la nation française dans son ensemble. Sa position est essentiellement nationaliste. En empêchant l’italien Fincantieri de détenir la majorité des chantiers navals français, il préserve la capacité de décision de l’état français, la sienne en l’occurrence tant qu’il sera à sa tête.

Les Italiens ne s’y sont d’ailleurs pas trompés qui dénoncent un revirement de la France et y voient une marque de défiance à leur égard. C’est un coup de canif dans l’attitude résolument pro-européenne d’Emmanuel Macron, une attitude qui se révèle opportuniste. Macron est pour une Europe forte, dans laquelle il partagerait avec Angela Merkel le leadership incontesté avec l’espoir secret d’en devenir le futur homme fort. Le rachat de STX est une opération rentable politiquement, puisqu’elle lui attire l’approbation acquise par avance de la majorité et celle de l’opposition, bien forcée de le soutenir sur ce coup-là. Elle ne coûte pas très cher financièrement : 80 millions sur un budget national, c’est peu, et elle peut rapporter gros. À condition de trouver un investisseur qui réponde à tous les critères exigés par l’état français, fiable et bien sous tous rapports. Et là, on attend toujours la perle rare.