L’œil en biais

Avons-nous suffisamment raillé les sondeurs américains, incapables de voir venir la victoire de Trump, faute d’une méthodologie rigoureuse ? Nos propres instituts de sondage se sont accordés à dire qu’une telle situation ne pouvait pas se passer en France, car nous disposions des outils nécessaires pour corriger les erreurs et notamment interpréter les résultats bruts, en fonction de critères de pondération. Alors, comment expliquer ce fiasco de dimanche dernier, où aucun institut n’avait pronostiqué une telle montée de François Fillon ?

Rassurez-vous, les sondeurs partagent avec les économistes et les météorologues la faculté de justifier pourquoi leurs prévisions ont été démenties et comment ils peuvent avoir raison même quand ils ont tort. L’argument massue consiste à prétendre qu’un sondage est un instantané de l’opinion à un moment donné, qu’il est exact par définition, mais qu’il change au cours du temps. Dans cet exemple de la primaire de la droite et du centre, les sondeurs affirment qu’ils ont constaté une progression continue du vote Fillon, y compris dans les dernières heures précédant le scrutin. Admettons. C’est très commode pour justifier que l’on aurait observé une différence de 30 points entre la mesure de la semaine précédente et le résultat final. Cela évite de s’interroger sur le biais possible dans le recueil des données. Cela implique aussi que les électeurs ont pu changer leur vote y compris dans l’isoloir, ce qui ne donne pas une image très positive de la maturité du corps électoral, et qui est démenti par l’intérêt porté aux débats télévisés et par l’ampleur de la participation.

Une autre explication, et qui ne plait pas trop aux sondeurs et aux commentateurs politiques en général, serait que le mouvement d’opinion serait dû à la conjonction de deux phénomènes. Le premier serait lié à la personnalité des candidats. Le style de Fillon a plus convaincu que les autres, il a été plus persuasif. Ce frémissement dans l’opinion a trouvé une caisse de résonnance avec la publication de sondages montrant une remontée de l’ancien premier ministre. Immédiatement, journaux, télévision et Internet, à l’affût de sensationnel pour pimenter une campagne un peu terne, ont multiplié les interviews, les portraits et les commentaires sur François Fillon, devenu le chouchou des médias, du jour au lendemain. C’est que le fait même de sonder l’opinion et de publier les résultats n’est évidemment pas neutre. L’électeur vote selon ses convictions, mais il veut aussi voter « utile ». La détestation de Sarkozy, qui conduisait au vote Juppé, plus par défaut que par adhésion, s’est déportée sur Fillon, au bénéfice de l’âge. Il reste un deuxième tour pour départager Juppon et Fillé. Qui l’emportera ? Bien malin qui pourra le dire, car, comme le disait Pierre Dac, « la prévision est difficile, surtout quand elle concerne l’avenir ».