Ordre public

Qui trouble l’ordre public ? Quelques femmes musulmanes qui jugent plus décent de se baigner tout habillées, ou quelques maires qui jugent cette pratique contraire à la morale laïque et anticipent sur des querelles entre citoyens qu’ils auraient largement contribué à créer ? Pour le Conseil d’État, la plus haute juridiction administrative française, la réponse est claire. Le maire de Villeneuve-Loubet, par ailleurs connu pour ses positions droitières au sein de son parti, Les Républicains, a outrepassé ses pouvoirs en prenant un arrêté visant à interdire le port du burkini sur ses plages. Il s’agit d’une « atteinte grave et illégale aux libertés fondamentales. »

En toute logique, la décision du Conseil d’État devrait signifier la fin de la polémique. Et cependant, Lionnel Luca a d’ores et déjà annoncé qu’il ne retirait pas son arrêté, pourtant suspendu. Et les maires concernés semblent déterminés, pour la plupart, à ne pas tirer les conclusions de la décision nationale, qui fait pourtant jurisprudence, et à maintenir leurs arrêtés illégaux. Ils appellent de leurs vœux une loi qui interdira le port d’insignes religieux islamiques dans l’espace public. On peut s’étonner d’une attitude aussi peu républicaine de la part de personnes dépositaires de l’autorité publique. S’ils se veulent défenseurs de causes justifiant une désobéissance civique, ils seraient mieux avisés de choisir quelque combat humanitaire, comme l’accueil de migrants économiques sur leur commune.

Il faut donc s’attendre à une guérilla parlementaire et à la confiscation du débat public par un sujet qui s’appuie essentiellement sur la peur des musulmans et leur stigmatisation. Un nouvel épouvantail que se disputent les démagogues de tout poil, et auquel le Premier ministre apporte un soutien malvenu, alors même qu’il juge inutile de légiférer à son sujet. Une telle loi a très peu de chance d’être adoptée dans la composition actuelle de l’Assemblée nationale, et en cas de changement de majorité, elle serait très probablement censurée par le Conseil constitutionnel. Elle aurait néanmoins le temps de phagocyter les débats des différentes primaires en vue de la présidentielle et d’occulter les questions les plus importantes sur le plan économique et social. Et il y a un candidat, suivez mon regard, qui est persuadé que c’est sur le terrain identitaire qu’il conserve une chance de reconquérir le pouvoir. Ne comptez donc pas trop sur lui pour reparler des sujets qui ont conduit à son départ. Une bonne diversion fera tout à fait son affaire, et, sait-on jamais, sur un malentendu, malheureusement ça peut passer.