Du pain, des jeux et une surprise

Et la surprise, c’est qu’il n’y a pas de pain ! Dans la Rome antique, les empereurs avaient coutume de museler le peuple en lui offrant du pain et les jeux du cirque, moyennant quoi ils pouvaient poursuivre tout à loisir leur existence partagée entre activités guerrières et délices de Capoue. En flattant le goût du peuple pour le divertissement en guise de nourriture intellectuelle et en lui assurant la nourriture terrestre par le biais de distribution de biens de subsistance, les puissants s’assuraient la domination de la ville et du monde dit civilisé.

La formule s’est transmise à travers les âges et les continents et l’organisation des Jeux olympiques à Rio de Janeiro ne fait pas exception à la règle, mais avec une nuance de taille. Quand le Brésil de Lula, son président charismatique de l’époque, a obtenu en 2009 l’organisation de l’édition 2016, le pays était en pleine croissance économique et il symbolisait l’émergence de ces nouveaux « riches » surnommés les BRICS, acronyme de Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud. Le Parti des Travailleurs au pouvoir pouvait se targuer non seulement d’une réussite économique indéniable, mais aussi d’avoir considérablement réduit les inégalités flagrantes dans la société et amélioré significativement la condition des plus démunis, bien que beaucoup reste à faire. Depuis lors, Lula a transmis le flambeau à sa protégée, Dilma Roussef, et la conjoncture internationale a changé, de même que la donne intérieure. La baisse des revenus pétroliers, qui avaient permis la redistribution, entraine une crise financière grave et a mis au jour un scandale de corruption lié à la compagnie d’état Petrobras. La dynamique s’est inversée, la présidente Roussef est en passe d’être destituée, et le président par intérim, Michel Temer, ancien allié du Parti des Travailleurs, est soupçonné de corruption et de complot contre l’état de droit.

Les Brésiliens n’ont plus guère le cœur à la fête. Ils se sont déjà beaucoup endettés pour la coupe du monde de football en 2014, avec une humiliante défaite 7 buts à 1 contre l’Allemagne en demi-finale. Ils sont déchirés politiquement entre les conservateurs qui veulent la peau de Dilma et les progressistes qui dénoncent le coup d’État constitutionnel de Temer. Beaucoup sont hostiles à ces jeux dans lesquels l’état dépense beaucoup d’argent quand des secteurs entiers du pays manquent cruellement d’équipements et d’infrastructures. Rien d’étonnant donc à ce que le président par intérim ait été accueilli par les huées d’une bonne partie du public lors de la cérémonie d’ouverture. Il restera la musique et la danse pour consoler un peu les Cariocas.