Fernande

Quand Georges Brassens pensait à elle, on sait quel effet cela lui faisait, mais on ignore si la Fernande de la chanson était ou non Fernande Grudet, plus connue sous le nom de guerre de Madame Claude, qui vient de s’éteindre tranquillement dans son lit à l’âge respectable de 92 ans après une vie rien moins que mouvementée à la tête d’un réseau de prostitution de luxe. Elle avait beau prétendre avoir retiré toute laideur au métier auquel elle soumettait ses filles, en pratiquant le vice comme l’un des beaux-arts, il n’en reste pas moins que sous le nom d’escortes, les employées de Madame Claude pratiquaient l’amour tarifé, et ce n’est pas le montant de la transaction, fort élevé au demeurant, qui y change quelque chose.

D’autant plus que du temps de sa splendeur, la célèbre proxénète, pour rester poli, employait une petite armée de prostituées de haut vol, qui devaient passer par la chirurgie esthétique pour offrir un produit sans défauts à sa clientèle fortunée. Qu’on le veuille ou non, Madame Claude exerçait un métier que la morale réprouve et que le droit est supposé réprimer. Le bras armé de la justice ne s’abattra cependant sur elle qu’après une quinzaine d’années de bons et loyaux services au profit notable de personnalités connues, dont plusieurs ministres de l’époque. Jusque-là, ni la justice ni le fisc n’avaient été trop regardants sur les activités répréhensibles de Fernande, moyennant quelques renseignements bien intéressants sur les clients, français ou étrangers, qui avaient recours à ses services. C’est l’élection de Giscard d’Estaing qui entraînera sa perte. Comme Al Capone aux États-Unis, elle sera condamnée pour fraude fiscale.

Madame Claude avait inventé un système qui convenait parfaitement aux mœurs de l’époque. La bourgeoisie gaulliste ou pompidolienne pouvait s’encanailler en toute discrétion grâce au réseau reposant sur le contact par téléphone. Les apparences étaient sauves : nul besoin de se rendre dans un lieu de perdition, un simple coup de fil permettait de procurer la compagnie dont le riche client avait besoin et il pouvait même se payer le luxe suprême de feindre de croire au consentement de sa supposée conquête grâce à son charme irrésistible. Madame Claude aura surtout fait preuve d’une qualité indispensable pour réussir dans son métier douteux : la discrétion. Hormis les services de police ou de contre-espionnage, personne n’a connu les noms des personnalités impliquées ni l’identité des call-girls, reconverties pour la plupart en respectables épouses de sous-préfecture. Elle emporte ces secrets d’État avec elle.