Tout sauf simple

Dans les années 80, le ministère des Postes, Télégraphes et Téléphones (PTT) avait commandé une vaste campagne de publicité dont le slogan est resté fameux : « le bonheur, c’est simple comme un coup de fil ». Les petites saynètes un brin naïves comme il seyait alors aux promotions officielles n’ont guère marqué leur époque, mais on n’a pas oublié la formule parce qu’on a toujours envie de croire à un monde meilleur. Le coup de fil qui fait l’actualité ces jours-ci, c’est celui échangé entre Emmanuel Macron et Vladimir Poutine au sujet de la centrale nucléaire de Zaporijjia et des risques de provoquer, accidentellement ou non, une explosion nucléaire de grande ampleur.

Cela faisait depuis le 28 mai dernier que les deux dirigeants ne s’étaient pas parlé officiellement, après que le président français a semblé prendre conscience que son interlocuteur le roulait régulièrement dans la farine et que ses initiatives ne servaient strictement à rien, sinon à discréditer la France, alors que c’est le président turc Erdogan qui tenait le rôle d’intermédiaire que souhaitait exercer Macron dans des négociations entre parties. Il m’a fallu mener l’enquête pour savoir qui avait pris l’initiative de ce coup de téléphone. Apparemment, c’est le président français, mais c’est le Kremlin qui l’a annoncé, comme si l’Élysée préférait garder le silence sur ce point. C’est le même flou artistique concernant la principale mesure envisagée à la suite de cet échange. Moscou évoque un accord sur l’envoi d’une mission de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) pour évaluer la situation sur place dans les plus brefs délais. En lisant entre les lignes, on peut comprendre que la proposition émane de Poutine et que Macron l’a soutenue, sous réserve de modalités acceptables par les Ukrainiens et les Nations Unies.

Or, on sait que Poutine ne fait jamais de cadeau. S’il propose une inspection de la centrale, c’est qu’il y voit un avantage. Tout d’abord, le site nucléaire est actuellement contrôlé par l’occupant russe, qui ne montrera que ce qu’il estime utile. Il pourra toujours invoquer le secret défense pour cacher l’arsenal militaire qui s’y trouve. Les inspecteurs de l’AIEA sont habitués depuis l’Iran à devoir détourner le regard dans certaines circonstances. En revanche, Vladimir Poutine pourra passer pour un pacifiste, incompris d’un peuple incapable de reconnaître ses vrais amis, manipulé par des dirigeants faisant « traîner la guerre » au lieu de se soumettre docilement au grand frère russe, comme au bon vieux temps de l’Union soviétique. Cependant, ce semblant de négociations, faisant suite à l’accord sur les exportations de céréales, semble indiquer que Poutine a besoin de détourner l’attention de la situation militaire et des revers subis en Crimée récemment. Il sait pouvoir compter sur l’orgueil d’Emmanuel Macron, trop content de parader auprès des vrais puissants pour s’interroger sur le rôle « d’idiot utile » que semble lui proposer le président russe.