Non coupable

Hadi Matar, cet homme de 24 ans qui a agressé sauvagement au couteau l’écrivain britannique Salman Rushdie, dans le but évident d’attenter à sa vie, a cependant plaidé « non coupable » de tentative de meurtre devant le juge de l’état de New York lors de sa première comparution. Aux États-Unis, la majorité des affaires de justice se traduit par des transactions entre le ministère public et la défense, où les peines se négocient en échange des aveux de l’inculpé, et souvent les poursuites sont abandonnées en contrepartie d’une indemnisation financière.

On peut donc s’interroger sur les motivations de ce plaider « non coupable » alors que la matérialité des faits ne fait pas de doute et que l’accusation n’aura aucun mal à démontrer la préméditation dans cette tentative de meurtre. On suppose que la ligne de défense de Hadi Matar ne peut être que de légitimer son geste au nom d’une justice immanente, d’essence divine, qui dépasserait celle des hommes. C’est un peu dans ce sens que l’on peut interpréter les déclarations de l’Iran, qui nie toute responsabilité dans ce crime, dont il rejette la faute sur la victime elle-même, qui n’aurait à s’en prendre qu’à elle-même. Rappelons quand même que c’est bien l’ayatollah Khomeyni, qui était au pouvoir en Iran à ce moment-là, qui a lancé un appel à assassiner Salman Rushdie pour avoir publié son livre, « les versets sataniques », jugé blasphématoire par le Guide suprême de la Révolution. Cette fatwa a beau remonter à plus de 30 ans, elle n’a jamais été abrogée, et il n’est pas interdit de penser qu’elle a guidé le meurtrier dans sa démarche, alors qu’il n’était même pas né à la parution du livre. Si nous doutions du lien entre l’agresseur et le pouvoir iranien, il suffit de lire le journal conservateur proche des autorités, qui félicite l’agresseur et accuse l’écrivain de « haine et de mépris infinis envers les musulmans et l’Islam ».

Fort heureusement, les jours de Salman Rushdie ne seraient plus en danger, même s’il risque de garder des séquelles de cette attaque sauvage. Il n’y a pas actuellement de preuve que cette agression aurait été commanditée par les autorités iraniennes, mais le lien entre cet appel au meurtre et l’acte qui a été commis, ne fait guère de doute. L’arrogance des dirigeants iraniens s’explique par la situation internationale. La guerre en Ukraine a exacerbé les tensions sur l’énergie. Après une hausse brutale du prix du baril de pétrole, le cours est revenu à son niveau précédent, et la mise sur le marché des réserves iraniennes, plus de 100 millions de barils, et une production journalière potentielle d’un million de barils ferait chuter mécaniquement le prix. Un scénario qui devient possible en fonction des négociations relancées sur le nucléaire iranien. L’indignation causée par l’attentat contre Rushdie ne pèserait guère par rapport aux enjeux planétaires de cette situation.