À l’heure du crépuscule

J’ai toujours été très sensible à cette lumière incertaine qui arrive au coucher du soleil incendiant l’horizon et dessinant dans le ciel des paysages incertains et fantasmagoriques ! Il est des sites réputés où l’on se rend spécialement pour admirer ce moment entre jour et nuit qui pourrait être angoissant puisque la lumière nous quitte… on sait bien sûr qu’elle reviendra !

On la retrouvera au petit matin dans un autre crépuscule, celui du jour, que l’on préfère appeler l’aube, moment où le soleil semble surgir de nulle part, et illumine à nouveau l’horizon, promesse d’une belle journée à venir ! Cela s’appelle aussi l’aurore, premières lueurs brillantes dans les perles de rosée, « l’aurore aux doigts de fée ».

 J’ai eu la chance d’admirer ce crépuscule du matin dans le Grand canyon, ce fut un moment magique, surnaturel et inoubliable, même si ensuite les crépuscules du soir sur les plages de Donnant à Belle-Île méritaient bien aussi un sentiment de pure poésie. Ce sentiment si bien décrit par le Petit Prince : « dans le désert au crépuscule, on s’assoit sur une dune, on ne voit rien, on n’entend rien, et cependant quelque chose rayonne en nous »

À choisir, je préfère le crépuscule du jour qui, précédant le lever du soleil, semble porteur d’avenir et d’espoir, au crépuscule du soir qui peut semer quelques angoisses, mais aussi quelques apaisements sur le devenir d’une vie qui commence à décliner !

Car la question est bien là, cruellement, l’étymologie du mot crépuscule, dérive du latin crépusculum qui signifie obscur, douteux, incertain. Je laisserai l’image de celui du matin pour la jeunesse qui même si elle doute, si la mélancolie l’habite, voit s’ouvrir devant elle des perspectives infinies. L’image de celle du soir va mieux pour la vieillesse, symbolisant le soir de la vie, écartant ses synonymes brutaux, décadence, ruine, déchéance, dégringolade… pour mieux négocier la paix avec soi-même et continuer à apprécier les instants encore illuminés des lueurs passées et celles encore à venir !

C’est la règle même de la vie, le crépuscule d’un homme voit se lever l’aube d’un autre.

Quand on parle de crépuscule on pense bien sûr à l’opéra de Wagner « le crépuscule des dieux », composé en 1876, sur fond des révolutions en Europe, voulant se libérer des régimes absolutistes et inspiré par les philosophes du 19e Spinoza, Hegel… L’histoire complète de « l’anneau Nibelung » peut être résumée comme une histoire de l’Apocalypse : les héros s’enfoncent vers la mort, vers l’implacable fin d’un monde, avant que naisse l’aurore d’un nouveau cycle de vie. Inspirant Nietzsche et Schopenhauer, Wagner aurait-il été visionnaire et écologiste avant l’heure ? La destruction de la nature, la volonté des dieux de vivre éternellement sans évoluer, attachés à leur soif du pourvoir, les condamnait à disparaître de l’univers sous l’effet de leurs propres actions.

Ceux qui ont remplacé les dieux auraient tort de se croire intouchables, et de se prendre pour Siegfried, héros libérateur symbole de liberté de jeunesse, on achève bien les immortels !

L’invitée du dimanche