Le pouvoir de nommer
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- Catégorie : Diabloguiste
- Publié le samedi 11 avril 2015 11:15
- Écrit par Claude Séné
Celui qui donne un nom manifeste ainsi son emprise et sa supériorité. L’affaire est aussi ancienne que la création du monde lui-même. Selon la genèse, si c’est bien Dieu qui crée toute chose, il laisse à Adam le soin de trouver un nom à chacun des animaux, lui donnant un pouvoir sur eux. Nous conservons cette tradition en choisissant un nom aux animaux domestiques. Et que fait Robinson Crusoé en découvrant qu’il n’est pas seul sur son île ? Il baptise aussitôt son fidèle compagnon d’un joli nom chrétien, sans se soucier de celui qu’il pouvait porter auparavant ou qu’il pourrait choisir lui-même.
C’est donc une des attributions des maires que de pouvoir donner un nom à une rue, voire en changer. En vertu de ce pouvoir discrétionnaire, l’ineffable Robert Ménard, maire de Béziers, a pris la contestable décision de débaptiser la rue du 19 mars 1962 qui commémorait le cessez-le-feu mettant fin aux « évènements » d’Algérie, pour lui donner le nom du Commandant Hélie Denoix de Saint-Marc, certes résistant, mais aussi putschiste et partisan de l’Algérie Française.
Dans un autre registre, le maire de Corbeil-Essonnes change le nom d’un boulevard pour rendre hommage à son prédécesseur, Serge Dassault, à qui il doit tout, bienfaiteur de la commune, ou du moins de certains administrés, rémunérés pour « bien » voter. Celui dont le nom est effacé ne viendra pas se plaindre, et d’ailleurs, qui le connait ? Il s’agit d’un certain Jean Jaurès.
C’est d’ailleurs un gros problème. Quand une commune construit de nouveaux quartiers, il lui faut trouver des noms de rue à la louche. C’est ainsi qu’à Nantes, une des cités populaires a reçu en étrenne des noms de peintres. Peu d’habitants ont dû prendre la peine de chercher qui était Claude Lorrain ou Georges de la Tour, et encore moins d’aller voir une de leurs toiles au musée de la ville. Comme chantait Renaud, ils préfèreraient habiter cité Mireille Mathieu que cité Lénine. Alors quand la ville de Dijon a décidé de rebaptiser la rue Adolphe-Willette, au prétexte qu’il s’était présenté en 1889 sous l’étiquette antisémite, la mesure est restée lettre morte devant la grogne des riverains qui répugnaient à devoir changer tous leurs papiers officiels et prévenir amis, famille et connaissances.
Ce serait pourtant simple de revenir à une pratique qui ne prête pas à polémique et dont témoignent les nombreuses « routes de Paris », « rue du cimetière » ou autre « place de l’église ».