Sur mes cahiers d’écolier

Du triptyque inscrit au fronton de nos mairies, la liberté est celui qui prête le plus à interprétation. L’égalité ne souffre aucune exception ni nuance, bien que force est de constater que certains sont plus égaux que d’autres. La fraternité n’est guère plus ambiguë malgré certaines rivalités familiales qui s’effacent la plupart du temps devant une solidarité indéfectible dont on aimerait qu’elle soit plus répandue en société. Mais la liberté ne se laisse pas apprivoiser si facilement. À peine la voit-on paraitre qu’on l’assortit de restrictions, notamment en la faisant s’arrêter à la porte de son voisinage.

Et pourtant, que Marianne était jolie quand Delacroix la représentait en train de guider le peuple vers de grands soirs glorieux et des matins triomphants pendant la Révolution. Un grand élan de libération des opprimés qui allait dégénérer en lutte féroce pour le pouvoir, faisant dire à Madame Rolland sur l’échafaud la célèbre phrase : « ô liberté, que de crimes l’on commet en ton nom ». Enfin, on n’est pas sûr, mais elle aurait mérité d’être prononcée, de mémoire de bourreau qui a rapporté cette citation.

Les choses se compliquent si l’on considère que la liberté a produit deux enfants adultérins. Le premier, c’est le libéralisme, une doctrine économique que l’on résume parfois au concept du renard libre dans un poulailler libre, et qui se base essentiellement sur la loi de la jungle et la raison du plus fort. On comprend rapidement pourquoi l’égalité et la fraternité se devaient de corriger les excès inévitables d’une telle conception. L’autre rejeton, c’est le courant libertaire qui pousse l’exigence de liberté au point de rentrer en conflit avec le rôle de l’état, ne souffrant aucune restriction collective à la liberté individuelle. Alors les Américains ont imaginé un croisement entre les deux espèces, et ont fabriqué un hybride, un organisme génétiquement modifié, sous forme des ultras Républicains du Tea Party, libéraux libertaires, dont le dernier avatar se nomme Rand Paul, fils de son père, Ron Paul, qui se présentera, comme papa, aux primaires de son parti.

Je vous sens envieux de ces USA. Vous avez tort. Nous avons, nous aussi, en France, un exemplaire de ce monstre fabuleux qui ressemble à l’hippocampéléphantocamélos cher à Cyrano. Il est même passé à la télé dimanche dernier, et il accorde l’honneur de ses analyses aux journaux qui les lui demandent, ou pas. C’est beau, la liberté.