Les mots ont un pouvoir
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- Catégorie : Diabloguiste
- Publié le jeudi 8 août 2019 10:38
- Écrit par Claude Séné
Cette formule lapidaire conclut le tweet publié par la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, pour rendre « hommage » à Toni Morrison, prix Nobel de littérature, dont on a appris hier la disparition. Dans ce message, effacé depuis, la ministre avance qu’elle aurait permis aux noirs de rentrer par la grande porte dans la littérature, ignorant superbement tous les écrivains « colorés », qui l’ont précédée dans le Panthéon littéraire et dont la liste serait trop longue. Citons, en vrac, Aimé Césaire ou Léopold Sédar Senghor pour les francophones, James Baldwin ou Chester Himes pour les Afro-Américains.
Que Muriel Pénicaud soit inculte ne me dérange pas plus que ça. Je lui reprocherai surtout sa politique dans le domaine de sa supposée compétence. On ne demande pas à une ancienne DRH de Danone d’avoir un avis sur tout, et notamment sur la littérature. Quand on voit les efforts pitoyables de cette pauvre femme, uniquement pour terminer une phrase dès qu’elle sort du discours écrit par d’autres, que l’on hésitera, après sa sortie insultante, à qualifier de « nègres », on se dispense volontiers de ses commentaires sur une grande dame reconnue de tous. En paraphrasant Coluche, quand on n’y connait rien, on devrait être autorisé à se taire. À supposer que Muriel Pénicaud soit une économiste brillante, ce qui se saurait, mais admettons, cela ne lui donnerait pas la moindre légitimité pour décerner des brevets en matière de littérature. C’est d’ailleurs une manie moderne de demander son avis à toute personne connue, sur tout et de préférence n’importe quoi, en dehors de son domaine de compétence.
Quel contraste avec l’interview de Christiane Taubira, interrogée sur l’écrivaine américaine, qui, elle, connait manifestement son sujet, et possède une éloquence naturelle pour en parler ! C’est tout sauf une surprise de la part d’une femme politique capable de citer de mémoire les grands auteurs, forçant l’admiration, y compris de ses adversaires. À l’inverse de Muriel Pénicaud, on a le sentiment que c’est la littérature la grande affaire de sa vie, et qu’elle ne s’est lancée en politique que de surcroît. D’ailleurs, si ses positions personnelles ont parfois été contestées, ses qualités humaines, sa grande culture et son érudition ont été saluées unanimement. Même si son œuvre littéraire est moins connue que celle de Toni Morrison, elle mériterait elle aussi d’allonger la liste des auteurs ignorés de Muriel Pénicaud, qui a perdu, encore une fois, une belle occasion de se taire au moment où les plans néfastes associés à son nom commencent tout juste à tomber dans un oubli miséricordieux.
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