La violence « normale »

C’est cette expression surprenante que Jean-David Zeitoun, jusqu’ici connu principalement comme gastro-entérologue, utilise dans un livre intitulé « les causes de la violence » pour décrire le phénomène observé depuis toujours sur le comportement humain qui touche principalement les hommes entre 15 et 30 ans. Il emploie ce terme de normal au sens statistique, du fait de sa régularité, et non moral, naturellement. Nous avons généralement l’impression d’une dégradation de nos sociétés, qui seraient génératives de violences beaucoup plus importantes qu’autrefois, et qui toucheraient des personnes de plus en plus jeunes. Deux récents faits-divers vont d’ailleurs dans ce sens, qui impliquent des adolescents âgés de seulement 14 et 15 ans à Marseille.

Dans les deux cas, il y a eu mort d’homme, et l’histoire est édifiante, si l’on peut dire, car emblématique de cette forme de délinquance qui semble se généraliser. Le premier fait, c’est la facilité avec laquelle un trafiquant notoire a pu recruter depuis sa cellule où il purge une condamnation pour trafic de drogue, un adolescent de 15 ans, qu’il avait chargé d’intimider une bande rivale. Démasqué, et pris au piège, il sera frappé à mort de 50 coups de couteau, puis brûlé vif et abandonné sur place. Le même détenu va alors commanditer un tueur à gages âgé de seulement 14 ans, pour assassiner le chef du clan accusé du meurtre précédent. Il lui promet cette fois 50 000 euros, contre 2 000 pour l’intimidation. Il semble que le chauffeur VTC, dont l’assassin présumé avait retenu les services, n’aurait pas suivi les instructions, et qu’il a de ce fait été abattu par le jeune meurtrier. Le commanditaire, appelé au secours par l’adolescent, le laissera froidement tomber et le dénoncera sans attendre.

Une lecture factuelle semble démontrer plusieurs éléments, et les politiques ne manqueront pas de s’en saisir. Les enfants et les adolescents sont confrontés de plus en plus jeunes à la violence, banalisée par sa fréquence. Les jeunes finiraient par intégrer ces comportements, où tout est basé sur les rapports de force, sans en être dissuadés par des adultes et une société proposant des valeurs morales sur lesquelles s’appuyer. Par ailleurs, le moteur des luttes de pouvoir se matérialise par les enjeux financiers, l’argent de la drogue est omniprésent, et les enfants baignent dedans dès le plus jeune âge. Les sommes en jeu n’ont aucune mesure avec celles que l’on peut gagner par un travail honnête. Sans oublier l’impuissance de la société à lutter contre ce fléau, quand même la prison n’empêche pas les trafiquants de vaquer à leurs affaires depuis leurs cellules, grâce aux téléphones portables que la pénitentiaire tolère, faute de pouvoir les éliminer. Si l’on prend un peu de recul, et le livre de Zeitoun conforte en cela toutes les études sur la question, la violence n’est pas en augmentation globale, par rapport au Moyen-âge. Elle aurait même été divisée par 50. Mais il reste beaucoup à faire.