Il ne s’interdit pas…

Il fallait savoir lire entre les lignes. Quand Michel Barnier déclarait qu’il ne s’interdisait pas une certaine justice fiscale, personne, pas même lui, ne semblait savoir ce que cette formule pouvait induire précisément. On imaginait que le gouvernement présenterait probablement des mesures symboliques pour taxer les particuliers ultrariches et les entreprises réalisant des superprofits, mais on ne s’attendait pas à ce que le Premier ministre cible les retraités pour leur faire supporter une part non négligeable du déficit public. La leçon la plus claire des orientations prévues pour le projet de loi de finances, c’est qu’il existerait en France deux castes privilégiées : les plus fortunés, qui gagnent plus de 500 000 euros par an et l’ensemble des retraités qui devront attendre 6 mois la revalorisation de leurs pensions.

En effet, les pensions devaient augmenter du coût de l’inflation dès le 1er janvier 2025, afin de ne pas pénaliser les retraités qui subissent l’augmentation des produits de première nécessité comme tout le monde. Ils vont devoir attendre le 1er juillet en perdant 6 mois. L’état en attend environ 4 milliards d’économies, qui sont donc prélevés directement sur une catégorie sociale dont le seul tort est de vivre plus vieux et de ne plus pouvoir travailler, mais qui a cotisé pour participer à ce système, et dont l’épargne, quand elle existe, joue son rôle dans l’économie du pays. La mesure est profondément injuste puisqu’elle vise la totalité de cette population, sans considération de ressources. Or, on sait que la moitié des retraités touche moins de 2000 euros par mois tandis que le salaire médian est de 2200 euros environ en 2024, et que cela peut monter beaucoup plus haut, notamment dans le secteur privé. Pourquoi ce gouvernement s’en prend-il spécifiquement aux retraités ? Ne cherchez pas de réponse rationnelle à cette question. Le Premier ministre a dû trouver en quelques semaines des solutions à une situation financière dégradée depuis longtemps, quand François Fillon déclarait être à la tête d’un état en faillite.

Michel Barnier a visé les retraités parce qu’il le pouvait, tout bêtement, et qu’il pense pouvoir le faire sans risquer de se mettre à dos les Français. Ce en quoi il a peut-être tort. C’est vrai que les manifestations de rue ne font guère recette chez les personnes d’un certain âge, mais ce sont eux qui votent le plus, et qui ont sauvé la mise d’Emmanuel Macron aux élections présidentielles. S’aliéner durablement leurs suffrages pourrait coûter cher à ce qui reste de l’ancienne majorité. Il ne faut pas oublier non plus que la réforme des retraites a laissé des traces. Ses nombreux opposants n’ont pas renoncé à demander son abrogation pure et simple, et la crise peut se relancer à tout moment, y compris par contagion lexicale. Provoquer ainsi les retraités quand la réforme injuste des retraites n’est pas définitivement réglée me parait pour le moins imprudent.