Le bonheur

Souvenons-nous. Nous étions dans les années 80 et les smartphones n’existaient pas encore, mais la publicité pour France Télécom nous vendait déjà du rêve à bon marché en utilisant le slogan resté fameux, car diablement efficace : « le bonheur, c’est simple comme un coup de fil ». Si ce n’était pas du bonheur à l’état pur, l’expression satisfaite de Marine Le Pen en expliquant les raisons pour lesquelles le Premier ministre avait cru bon de l’appeler, me semble être ce qui s’en rapproche le plus. Et elle a de quoi boire du petit lait, selon une des expressions les plus répandues pour évoquer la situation.

L’histoire a commencé lorsque le ministre de l’Économie, à peine nommé, un certain Antoine Armand dont vous n’aurez peut-être pas le temps de retenir le nom, s’est précipité dans les médias pour se faire voir et profiter de son quart d’heure de célébrité. Las ! tout à la joie de sa nomination, le ministre a oublié de mettre à jour son logiciel de communication, et il a continué à ostraciser le nouvel homme fort du paysage politique français, le Rassemblement national, qui détient la capacité de vie ou de mort sur le gouvernement provisoire dont fait partie Antoine Armand. En refusant par avance toute rencontre avec le RN, au motif qu’il ne fait pas partie de « l’arc républicain », celui-là même qui lui a permis d’être élu député avec des voix venant des deux autres bords de l’échiquier politique, le nouveau ministre a pris involontairement le risque de provoquer le courroux de l’extrême droite, qui n’attend qu’un prétexte pour mettre en œuvre sa menace de censurer le gouvernement.

Au point de s’attirer une mise au point musclée du chef du gouvernement : « encore une, et c’est la porte ! » lui aurait dit Michel Barnier au cours d’un remontage de bretelles en règle en mode « c’est qui, le patron ? » pour dissiper toute ambiguïté et assoir son autorité sur ceux qui lui doivent leur maroquin. Là où l’affaire se corse, c’est lorsque le Premier ministre a cru bon d’appeler personnellement Marine Le Pen, soi-disant pour la rassurer, en réalité pour faire acte d’allégeance en reconnaissant officiellement que le RN peut faire tomber le gouvernement quand il veut et qu’en conséquence il ne fera rien qui puisse le froisser. On pourrait croire que le parti de Marine Le Pen se trouve dans une situation idéale avec cette épée de Damoclès qu’il se plait à brandir au-dessus de la tête de Michel Barnier. La réalité est plus complexe. La censure est comparable à l’arme nucléaire, un pouvoir absolu, mais à un seul coup, basé sur la dissuasion. Au fond, le statu quo est la situation la plus favorable pour le moment pour le Rassemblement national. Quant au gouvernement hétéroclite formé par Michel Barnier, il est grand temps pour Marie-Claire Carrère-Gée, ministre déléguée à la Coordination gouvernementale, de se mettre au travail.