Une armée mexicaine

On croyait que le plus dur serait de décider Emmanuel Macron à nommer un Premier ministre, tant le portrait-robot dessiné par le président lui-même ressemblait à sa propre image dans le miroir, ou bien à une peinture cubiste représentant le personnage à la fois de face et de profil, mais nous n’en sommes peut-être qu’au début d’une nouvelle mission impossible, consistant à composer un gouvernement acceptable aux yeux de l’opinion, et suffisamment crédible tout en reflétant l’état des rapports de force issus des dernières élections. On sait déjà que ce n’est pas une mince affaire, même quand les urnes délivrent un message clair.

Il faut toujours respecter certains équilibres. La parité homme-femme est devenue incontournable. Il faut aussi doser les origines géographiques des ministres, tenir compte des affinités et éventuellement des compétences des ministrables, sans oublier le droit de véto implicite du président, qui nomme, en dernier ressort, sur proposition du Premier ministre. Mais le critère le plus important est évidemment celui de la couleur politique. Et ici, les affaires se corsent. Le parti des Républicains auquel appartient Michel Barnier soutiendra le gouvernement et pourra y faire siéger certains membres, mais il reste à définir s’ils le feront au nom de leur parti, ou à titre individuel. La participation de représentants du parti présidentiel, y compris celle de ministres ayant déjà occupé des fonctions dans de précédents gouvernements, se pose et ne semble pas faire l’unanimité chez les macronistes. En revanche, pour le rassemblement national, c’est niet, ce qui arrange tout le monde. Le RN soutiendra peut-être, ou fera preuve d’une neutralité bienveillante, mais exclut de participer. Pour le Parti socialiste et les partis du Nouveau Front populaire, ce sera non aussi. Mais Macron ne désespère pas de débaucher individuellement quelques cautions « de gauche » qui ne tromperont personne.

En effet, le centre politique de ce gouvernement Barnier sera nécessairement très à droite, et il ne pourra guère compter que sur ce qu’il est convenu d’appeler la droite républicaine. En pratique, le parti hérité de la tradition gaulliste dont le dernier avatar reste l’ancien président Sarkozy, qui présente la particularité d’avoir de moins en moins de militants et de plus en plus de candidats potentiels à exercer le pouvoir suprême, celui de président de la République. Il est devenu un parti-croupion depuis que son président, Éric Ciotti, a rejoint le Rassemblement national, ne comptant plus que 39 députés à l’Assemblée nationale, c’est-à-dire à peine assez pour fournir des candidats à l’ensemble d’un gouvernement, ministres et secrétaires d’État compris. D’où cette comparaison qui m’a servi de titre avec une armée mexicaine dans laquelle on compterait plus de chefs et de gradés que de soldats proprement dits. Tout ça pour trouver un gouvernement qui ne fera peut-être même pas la semaine !