Liberté, que de crimes…

… on commet en ton nom ! cette phrase, attribuée à Mme Roland en montant sur l’échafaud en 1793, me semble au cœur même de l’affaire de l’arrestation de Pavel Durov, le patron et fondateur de la messagerie cryptée « Telegram », au moment de son entrée sur le sol français. La justice française lui reproche d’avoir laissé publier sur sa plateforme des contenus en lien avec des délits majeurs, tels que le trafic de drogues et la pédocriminalité, et refusé de coopérer aux enquêtes diligentées par notre justice, au nom d’un droit absolu à la liberté d’expression.

Pavel Durov, à l’issue de sa garde à vue, a été placé sous contrôle judiciaire, avec interdiction de quitter le territoire français, mais laissé en liberté. Il est considéré comme innocent jusqu’à preuve du contraire, mais sa mise en examen s’appuie nécessairement sur un « faisceau d’indices graves et concordants ». Pour sa défense, il fait valoir l’impossibilité de contrôler l’intégralité des contenus véhiculés sur sa messagerie, et le principe d’origine anglo-saxonne d’une liberté totale d’expression, chacun assumant les conséquences éventuelles de ses déclarations. C’est la raison pour laquelle il a reçu le plein soutien de son confrère et concurrent Elon Musk, propriétaire de Twitter, rebaptisé X, qui fait ouvertement la promotion du candidat républicain à la présidence, Donald Trump, lui aussi partisan d’une liberté débridée inspirée du « renard libre dans un poulailler libre ». Plus surprenante peut-être, la réaction de Wladimir Poutine, qui s’est saisi de l’affaire pour défendre la liberté d’expression de Pavel Durov, alors qu’il dirige un pays où exprimer une opinion différente de celle du maître du Kremlin peut vous envoyer directement dans un camp à régime sévère pour y mourir à petit feu, ou être assassiné sur le sol russe ou à l’étranger.

Pavel Durov possède pourtant la nationalité française, qu’il a obtenue en 2021 sur sa demande grâce à une procédure rare, celle dite de « l’étranger émérite », l’exact inverse du clandestin indésirable, beaucoup plus répandu, pourchassé par les services de l’état. Il est également citoyen russe par sa naissance à Leningrad il y a 39 ans, une nationalité qui n’est pas synonyme d’immunité dans son pays, et émiratie par sa résidence dorée à Dubaï. Pour s’assurer du respect de son contrôle judiciaire, la justice française lui demande une caution financière de 5 millions d’euros, qu’il ne devrait pas avoir trop de mal à trouver quand sa fortune est estimée par Forbes à plus de 15 milliards de dollars. À un tel niveau de richesse, il y a fort à parier qu’un compromis sera trouvé, sous condition que le réseau social Telegram fasse un peu de ménage et bannisse des entreprises trop manifestement hors la loi. Peut-être Pavel Durov reconsidérera le refus qu’il avait opposé à Emmanuel Macron qui lui proposait de délocaliser en France le siège de son entreprise.