Le rêve du président

Emmanuel Macron va entamer aujourd’hui un cycle de consultations politiques en vue de nommer, enfin, un nouveau Premier ministre, homme ou femme, qui sera chargé de constituer un gouvernement, soumis à sa désignation. Depuis le temps que le gouvernement dirigé par Gabriel Attal est sur le départ, le président a largement eu le loisir de comprendre qu’il ne disposait d’aucune majorité de rechange, et il se refuse manifestement à accepter la candidate proposée par le Nouveau Front populaire, arrivé en tête des élections législatives qu’il a convoquées bien imprudemment, au motif qu’elle serait censurée dans les 48 heures.

C’est évidemment une possibilité, à partir du moment où lui-même, par l’intermédiaire du parti entièrement acquis à sa cause le déciderait, mais ce risque guette tous les gouvernements qu’il pourrait désigner, faute d’une alliance suffisante pour les soutenir, notamment sur le budget, qu’il faut urgemment préparer. Le président semble avoir rêvé d’une coalition qui s’étendrait d’une gauche modérée à un centre droit déjà acquis à sa cause, couvrant tout l’éventail de l’hémicycle à l’exception des partis jugés « extrêmes », le Rassemblement national et ses nouveaux alliés d’une part, et la France insoumise d’autre part, à qui il réserve ses coups les plus rudes. Emmanuel Macron rêve de fissurer le Nouveau Front populaire pour attirer les électeurs socialistes, voire communistes ou écologistes, en isolant la formation de Jean-Luc Mélenchon. S’il en fallait une preuve supplémentaire, la démarche de 50 députés du parti Renaissance visant à demander la levée de l’immunité parlementaire de Rima Hassan, députée insoumise accusée de tous les maux, y compris ceux de racisme, antisémitisme ou apologie du terrorisme, suffirait à s’en convaincre. Ces députés sont manifestement en service commandé et le calendrier ne doit rien au hasard.

Poussons le raisonnement du chef de l’état à son terme. Admettons que la gauche « présentable » à ses yeux soutienne un gouvernement plus ou moins de techniciens, ainsi que ce qui reste du parti les Républicains, amputé de son aile droite. Cet ensemble ne réunirait pas la majorité absolue de 289 députés, nécessaire au vote des lois, y compris budgétaires. Ce qui veut dire que le gouvernement serait tributaire du bon vouloir du Rassemblement national, qui pourrait, au coup par coup, arbitrer en faveur de telle ou telle position. Mais peut-être Emmanuel Macron souhaite-t-il faire cette démonstration par l’absurde, afin de se poser comme unique et dernier recours d’un fonctionnement démocratique de l’état, tout en suspendant en réalité le fonctionnement normal des institutions. Il ne semble pas particulièrement affecté par la situation d’un pays officiellement non gouverné depuis 6 ou 7 semaines, mais qu’il continue à diriger et à prendre des décisions engageant l’avenir comme si de rien n’était, tel un canard sans tête qui continue à courir.