Du beurre ou des canons ?

L’expression vous dit probablement quelque chose, même si, comme moi, vous n’êtes pas un spécialiste des questions économiques et de l’Histoire avec une grande hache. Elle fait allusion à un ouvrage savant dont le sous-titre, « une histoire culturelle de l’alimentation sous le IIIe Reich » en dit un peu plus long sur les réflexions, somme toute assez simples concernant les choix politiques qui dictent les décisions économiques d’un pouvoir, quel qu’il soit. En simplifiant beaucoup, il s’agit de savoir si la machine économique sera affectée en priorité à produire du beurre et toutes les nourritures dont la population a le plus grand besoin, ou des armes et des munitions pour assurer son autonomie et sa défense.

La classe dirigeante actuelle s’efforce de persuader les Français que nous n’avons pas le choix et que l’agressivité de Vladimir Poutine, combinée à la mégalomanie de Donald Trump, nous contraint à augmenter considérablement le budget consacré à la défense, pour notre propre compte, et aussi pour reconsidérer l’équilibre entre les forces en présence en Europe, sans dépendre exclusivement du bon vouloir des États-Unis et des caprices de son président. Emmanuel Macron s’est engagé à ne pas augmenter les impôts, mais il est resté très discret sur la façon dont serait financé cet effort demandé à la population. La première victime de ce flou sur les orientations économiques semble bien le réexamen de la réforme des retraites, promis par le Premier ministre, et qui serait vidé de sa substance par les déclarations de François Bayrou. Contrairement à ce à quoi il s’était engagé, il considère que la situation économique globale de la France ne permet pas d’avoir le beurre et l’argent du beurre, et il récuse par avance un projet qui mobiliserait les maigres ressources de l’État.

Ce faisant, non seulement il trahit sa propre parole, mais il s’expose à subir les conséquences de la rupture du pacte de non-censure, déjà fortement contesté. En toute logique, les formations opposées au gouvernement devraient le renverser à la première occasion, alors même que les ministres qui le composent sont loin d’adopter des positions communes sur la question des retraites. Il serait déjà étonnant que le fameux « conclave », si mal nommé puisqu’on en sort comme d’un moulin, réussisse à aller au bout de ses travaux. FO avait déjà claqué bruyamment la porte des négociations, elle est suivie aujourd’hui par l’organisation patronale U2P. On sait par ailleurs que le MEDEF et la CPME bloquent toute augmentation des cotisations, et refusent tout projet d’accord avec les organisations syndicales de salariés. En enfonçant le dernier clou sur le cercueil des négociations entre « partenaires sociaux », François Bayrou signe probablement l’acte de décès d’un gouvernement en sursis, où chacun tente de se placer en vue des présidentielles.