Sus aux écrans

Cette généralisation qui met dans le même sac tous les vecteurs de communication en fonction du support sur lequel circule l’information est tentante, mais trompeuse. En effet, elle fait abstraction du contenu véhiculé au seul profit du médium, en général un amas de cristaux liquides reliés entre eux et donnant accès à des informations ou des « contenus » extrêmement divers. « Créateur de contenu » est d’ailleurs devenu un métier à part entière, indépendamment de la nature de ce contenu. En réalité, ce contenu importe assez peu, et c’est regrettable, dans le débat qui entoure la remise du rapport d’experts commandé par le président de la République et qui reprend sans surprise tout ce qui est déjà bien connu.

Physiologiquement, l’exposition prolongée aux ondes émises par nos smartphones ou nos tablettes est déconseillée, interdite avant 3 ans selon la commission, mais potentiellement nocive y compris pour les adultes. S’il est raisonnable de tenter de limiter cet usage dans le temps, toutes générations confondues, et de conseiller d’éloigner l’appareil en utilisant un casque par exemple, la meilleure solution consiste à imposer aux fabricants des normes basses d’émissions d’ondes électromagnétiques, mesurées par le DAS (débit d’absorption spécifique). De la même façon, il est illusoire de prétendre interdire l’accès aux sites de toutes sortes pouvant nuire au développement affectif et moral des enfants et des adolescents, mais cela n’empêche pas d’en contrôler l’existence et d’agir sur les diffuseurs. De même, les réseaux sociaux, considérés comme dangereux pour les jeunes, ne le sont pas moins pour les adultes. Lorsque les gouvernements se sentent mis en danger par certains d’entre eux, ils savent prendre les mesures restrictives, comme en témoigne le cas de TikTok qui est soupçonné de servir les intérêts de la Chine et qui pourrait être contrôlé prochainement par l’administration américaine.

L’emballement médiatique autour de cette question pousse les politiques à prendre des positions démagogiques au-delà de toute raison. Le Premier ministre a ainsi donné l’impression de vouloir bannir tous les outils numériques de l’éducation nationale en raison de leur supposée nocivité globale. On se croirait revenu aux années 60 quand le spécialiste des nouveaux médias Marshall McLuhan, publiait son essai sur « la galaxie Gutenberg » dans lequel il semblait acter la fin de l’ère dominée par le livre grâce à la découverte de l’imprimerie, au profit des technologies modernes, qu’il appelle la galaxie Marconi, du nom de l’inventeur de la radio et de la TSF. Un ouvrage discutable et discuté, tant la place du livre et de l’écrit reste importante sinon prépondérante, y compris lorsqu’il est porté par un support utilisant des technologies apparemment contradictoires. Les messages restent souvent écrits, qu’ils soient envoyés par mail, par texto, ou lus sur internet. D’ailleurs, une gravure est restée célèbre : on y voit Gutenberg faisant un bras d’honneur, et elle s’intitule : « la réponse de Gutenberg à McLuhan ». Sur tablette ou sur papier, le message continue de primer sur le médium.