Justice expéditive

Ayé ! les choses n’ont pas traîné. À peine une vingtaine d’années après les faits, le Premier ministre est mis en examen. Ah ! mais non ! vous n’y êtes pas ! pas l’irréprochable Monsieur Philippe ! non, vous n’avez tout de même pas cru qu’un ministre en exercice, et à plus forte raison le premier d’entre eux, pourrait être mis en examen et rester tranquillement à son poste sans que quiconque s’en émeuve ?

À part François Bayrou, bien entendu, mais c’est un cas particulier, puisqu’il n’est après tout que ministre de la Justice, et que sa déontologie personnelle lui interdit tout favoritisme dans les affaires le concernant directement, lui ou sa collègue, ministre des Affaires européennes, Marielle de Sarnez, qui appartient par coïncidence au même parti que lui. Alors, que les choses soient bien claires : si tout autre ministre, au hasard, Richard Ferrand par exemple, venait à être mis en examen, il démissionnerait sur-le-champ, comme François Fillon. Ah ! zut ! c’est un mauvais exemple, mais vous m’avez compris. De toute façon, ça ne risque pas d’arriver puisque le parquet de Brest, dans sa grande sagesse, se refuse à ouvrir une information judiciaire sur des faits tous plus légaux les uns que les autres. Comment ? Le parquet a changé d’avis ? Mais à qui se fier, grands dieux ?

Mais peu importe. Le cours de la justice est inarrêtable. Bon, il lui faut parfois prendre un peu d’élan pour démarrer, comme dans ce volet ministériel de l’affaire Karachi, du nom de l’attentat qui a tué 15 personnes, dont 11 employés français de la DCN en 2002. L’enquête a établi que ce serait une conséquence de l’arrêt du versement de commissions liées aux contrats d’armement entre la France et le Pakistan. Ces pots-de-vin étaient plus ou moins légaux à l’époque. Ce qui ne l’était pas, c’est qu’une partie de ces fonds serait revenue alimenter le compte de campagne du candidat Balladur sous forme de dépôts en liquide pour plusieurs millions de Francs en 1995. Bon, à l’époque, le candidat favori des sondages avait justifié ces rentrées par des ventes de gadgets dans les meetings, des tee-shirts en or massif, je suppose, et le Conseil Constitutionnel avait validé les comptes de campagne sans sourciller. Dans le cas contraire, il aurait fallu être aussi pointilleux avec le gagnant, Jacques Chirac, et ça, c’était hors de question. Et voilà donc comment la Cour de Justice de la République s’apprête à juger l’ancien Premier ministre. Je me permettrai de lui conseiller de ne plus trop traîner à présent, car ce brave Édouard ne rajeunit pas, il va sur ses 89 ans et ce serait trop bête que l’exemplarité de la République et de sa justice souveraine soit entravée par un décès prématuré qui éteindrait son action.