Une histoire de prénom

Le prénom est un film à succès, tiré d’une pièce de théâtre, qui raconte comment, à partir de l’annonce du prénom choisi par un couple pour son futur héritier, une soirée entre amis va dégénérer et tourner au règlement de comptes généralisé. Il faut dire qu’Adolphe est fortement chargé en connotations politiques depuis l’avènement d’un dictateur ainsi prénommé. Cela n’a aucun rapport, mais je suis frappé de constater à quel point les électeurs déclarés du Front national ont tendance à appeler leur candidate par son prénom. Je vote « Marine », disent-ils. Pas Le Pen, ou Marine Le Pen, juste Marine.

Cela me désole d’autant plus que de même qu’Adolphe peut aussi renvoyer à un personnage de Benjamin Constant, Marine est un prénom porté par quelqu’un à qui je tiens, ma petite-fille, qui n’a rien fait pour mériter ça. C’est sans doute un signe de la réussite de la dédiabolisation de l’extrême droite que cette familiarité affichée. Comment pourrait-on avoir peur de quelqu’un que l’on appelle par son prénom et que l’on tutoie ? Et pourtant, ce sont les petites gens qui se laissent tenter par l’aventure du Front national, et ce sont les mêmes qui ont le plus à craindre de son éventuelle accession au pouvoir. Ne serait-ce que par l’effondrement économique programmé par le retrait des instances internationales et le repli de la France sur elle-même, négligeant les représailles qu’une politique isolationniste ne manquerait pas de déclencher chez nos partenaires. Et je ne compte pas les conséquences sur la vie de tous les jours des Français que l’exercice autoritaire du pouvoir ferait peser, avec des restrictions aux libertés fondamentales ouvrant la voie à une dictature analogue à celles que l’on a connues en Grèce ou au Chili. Notez bien que seule la présidente a droit à ce traitement de faveur, et que Florian, Louis, ou même Marion n’hésiteront pas à remiser leur gant de velours pour sortir une main de fer à la première occasion.

C’est dans ce contexte qu’il convient d’apprécier l’initiative du candidat Emmanuel Macron, qui, au soir de sa victoire du premier tour, a fait acclamer sa femme, aux cris de « Brigitte, Brigitte ! » Il est vrai que son patronyme, Trogneux, aurait sonné un peu moins bien. C’est quand même du jamais vu et témoigne d’une américanisation galopante de la vie politique française. Si l’on se souvient qu’une des plus fidèles supportrices du Front national n’est autre que Brigitte Bardot, l’affrontement du deuxième tour pourrait se résumer à un duel de Brigitte contre Brigitte. Brigitte est aussi le nom d’un duo de chanteuses qui se présentent dans des tenues de scène identiques, comme des jumelles. Chacun pourra y voir le symbole qui lui conviendra.