Merci patron !

Il était de tradition de profiter des échéances électorales pour mettre en avant un certain nombre de sujets en sollicitant les candidats sur des engagements qu’ils prendraient en cas de succès. Cette démarche est plutôt légitime, dans la mesure où elle peut éclairer le débat et aider les citoyens à faire leur choix. Elle a cependant ses limites comme l’a prouvé le pacte écologique proposé par Nicolas Hulot en 2007, qui a été signé par les principaux candidats, sans que des résultats bien tangibles en soient sortis, comme en témoigne le fameux Grenelle de l’Environnement.

La démarche du patron du groupe Poujoulat est toute autre. Il a adressé un courrier à l’ensemble du personnel dans le but de lui « expliquer » les enjeux de l’élection présidentielle. On ne peut pas affirmer qu’il lui donne à proprement parler des consignes de vote explicites, mais son objectif est clairement d’influencer leur choix, sans tomber sous le coup de la loi. Sa défense et son illustration de l’Europe, dont le groupe Poujoulat dépend fortement, ne sont pas très éloignées du chantage à l’emploi. Sous couleur de défendre l’entreprise, il veut clairement mettre en garde ses salariés contre la tentation de « mal voter », c’est-à-dire en faveur d’un candidat hostile à l’Europe, ou qui laisserait « filer la dette » de la France. Ne cherchez plus, il n’y en a qu’un, et c’est François Fillon. D’ailleurs, il est un autre patron qui ne s’est pas gêné pour désigner clairement son favori. Il s’agit du PDG des boulangeries industrielles Paul, présent dans la plupart des aéroports. Cet homme a bien sûr le droit de soutenir le candidat Les Républicains, et même de le faire savoir. Là où il pousse le bouchon un peu trop loin, c’est de le faire au nom des 14 000 salariés du groupe, dont il se prétend l’ambassadeur et affirme sans sourciller, un comble pour un partisan de Fillon, que les employés réclament le droit à travailler plus et à simplifier le Code du travail.

Quand on entend ce genre de prise de position, on se demande si l’on n’est pas toujours au temps des maîtres de forges, quand les familles Wendel et compagnie, soucieuses du bien-être de leurs ouvriers, organisaient leur existence dans ses moindres détails. Les ouvriers habitaient dans les logements fournis par le patron, leurs enfants fréquentaient leurs écoles, ils allaient dans les églises construites par leurs soins, fréquentaient les patronages financés par eux, faisaient des activités sportives ou culturelles organisées à leur intention, achetaient nourriture et fournitures dans leurs économats. Une forme sophistiquée d’esclavage en somme, sous couvert de paternalisme familial, destinée à sécuriser le patrimoine humain et à garantir les profits. Il serait temps qu’ils s’aperçoivent que le patronat de droit divin n’a plus cours.