C’est quoi ce délire ?

C’était il y a quelques années. Je ne me souviens plus en quelles circonstances, j’étais amené à patienter pour sortir d’un lieu public quand j’entendis derrière moi cette exclamation indignée d’un « djeune » qui ne supportait pas que son envie irrépressible de passer se heurte à quelque obstacle que ce soit. Par son éclat de voix, il manifestait sa désapprobation de voir le monde refuser de se plier à son caprice, et il ne pouvait considérer cette réalité autrement que comme une pure fantaisie comparée à son désir qui aurait dû primer sur toute autre considération.

Ce que l’on peut pardonner à un adolescent encore insuffisamment façonné par les aléas de la vie est difficilement supportable de la part d’une adulte, qui plus est si elle brigue les suffrages des Français en vue d’exercer les plus hautes fonctions de l’état. C’est pourquoi j’ai sursauté en entendant Marine Le Pen prétendre que la politique d’immigration de la France était « un délire ». Comme son jeune homologue, elle refuse de reconnaitre la réalité et lui préfère son fantasme d’envahissement, dépourvu de toute consistance. S’il est un reproche que l’on peut faire à ce gouvernement, comme à ceux qui l’ont précédé, c’est bien son manque de générosité à l’égard des populations contraintes à l’exil par la guerre, les persécutions ou la misère. Une sorte de « charité » bien ordonnée, à l’instar des Allemands par exemple, qui finalement ne coûte rien au pays et peut même lui rapporter quelque chose, ne serait-ce que la considération à ses propres yeux et à ceux des autres.

Il n’est peut-être pas inutile de rafraîchir la mémoire de Marine Le Pen, qui a déclaré vouloir un moratoire sur l’immigration légale pour arrêter « le délire ». J’imagine que dans ses études d’avocate, elle a dû être confrontée à la définition légale du délire, qui se caractérise par une croyance infondée, contraire aux données de l’expérience, à laquelle le sujet accorde une valeur et une foi insensible au raisonnement. Cet état peut être permanent ou intermittent, auquel cas l’on parle de bouffées délirantes. Une observation même superficielle des déclarations de la présidente du Front national démontre à l’évidence que s’il y a bien une forme de délire en la matière, il est de son fait. À ceci près que la pathologie délirante implique une inconscience du patient de son état, tandis que l’on peut fortement soupçonner Marine Le Pen d’utiliser volontairement des arguments niant la réalité pour des raisons électoralistes. En d’autres termes, elle n’est peut-être pas malade, mais manipulatrice, ce qui ne la rend que plus dangereuse encore. C’est quoi, ce délire ?