Démocratie formelle

Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a réussi son pari puisque le projet de présidentialisation du régime qu’il dirige depuis 2003 a été approuvé par une majorité d’électeurs. Une victoire très courte cependant qui soulève de nombreuses questions. Avec un peu plus de 51 % des suffrages, il est permis de s’interroger sur la sincérité du scrutin. L’opposition a d’ores et déjà déposé un recours concernant la comptabilisation de certains votes, acceptés localement puis déclarés nuls à l’échelle du pays. Même si la Turquie n’est pas particulièrement suspecte de fraude électorale, ce fléau peut y sévir comme ailleurs, et d’autant plus que le régime est devenu plus autoritaire.

Mr Erdogan risquait gros sur ce scrutin, et les hommes forts sont faibles par rapport au respect de la démocratie. Mais admettons, pour les besoins de la démonstration, que les résultats annoncés sont le reflet exact de l’opinion. Ils sont pour le moins contrastés. Le oui l’emporte dans les campagnes, mais les trois villes principales ont rejeté le projet du président. Les communautés turques vivant à l’étranger, principalement en Allemagne ou en France, ont approuvé le texte plus massivement que dans la métropole. Ce qui veut dire que près de la moitié des électeurs sont déçus du résultat et que leurs aspirations vers plus de démocratie seront totalement ignorées par leur dirigeant, qui n’a présenté ce texte que dans ce but. C’est d’ailleurs paradoxal de consulter le peuple sur l’abandon de ses prérogatives, et encore plus de constater qu’il y consent. Cela me rappelle les réactions au moment où la France accordait enfin le droit de vote aux femmes et que certaines d’entre elles déclaraient cette décision inutile, voire dangereuse. Sur le papier, le président a respecté la démocratie, mais dans la réalité il lui tord le cou en renforçant à outrance ses pouvoirs.

Nous allons nous-mêmes être appelés prochainement à voter pour désigner le prochain président de la République. Si, au premier tour, chacun se déterminera selon ses propres choix, au deuxième, le candidat, quel que soit son score, ne représentera probablement qu’une minorité d’adhésion de Français, le reste témoignera d’un vote par défaut en faveur de celui ou celle qui sera le moins éloigné des valeurs des électeurs, du moins ceux qui auront à cœur de se déplacer, et qui ne choisiront pas le vote blanc ou nul. Jacques Chirac a eu beau récolter 82 % de suffrages en 2002, il ne représentait réellement qu’une petite fraction de l’électorat, environ 15 % des inscrits. C’est ce que nous appelons la démocratie, faute d’un meilleur terme pour qualifier le processus de désignation de nos dirigeants. Et l’on s’étonnera des espoirs déçus de la majorité réelle, écartelée entre des aspirations contradictoires.