Bowling for Tocqueville

Je fais partie d’une génération, celle de l’immédiat après-guerre, qui a été attirée par la culture américaine, qui nous semblait tellement plus moderne que notre environnement traditionnel. Le blue-jean, ancien vêtement de travail, nous paraissait du dernier chic pour nous promener le dimanche, nous découvrions le rock and roll et le jazz, Sydney Bechet et Elvis Presley, Miles Davis et Ray Charles, entre autres. Dès cette époque, on avait coutume de dire que les modes en vigueur aux États-Unis finissaient tôt ou tard par atterrir chez nous, pour le meilleur, parfois, et trop souvent, pour le pire.

Le jeune lycéen du lycée Tocqueville de Grasse, qui a ouvert le feu sur ses camarades et le proviseur qui tentait de s’interposer, n’était même pas né en 1999, quand deux jeunes Américains avaient déclenché une fusillade à Columbine dans le Colorado, tuant des dizaines de lycéens. Il semblait pourtant avoir une certaine fascination pour ce fait divers, dont Michael Moore a tiré un film, « bowling for Columbine ». Des tragédies comme celle de Columbine sont malheureusement monnaie courante aux États-Unis, malgré ou à cause de la prolifération des armes à feu, dénoncée par Obama et soutenue par son successeur Donald Trump, qui prétend contre toute évidence que l’autodéfense est le seul moyen d’éviter d’autres massacres. Au passage, si nous avions jusqu’ici été épargnés par cette forme de violence, l’attaque de Grasse va rendre caduque la réplique de François Hollande au président américain qui déclarait que Paris n’était plus Paris. Nous pouvions alors encore nous targuer de ne pas avoir subi de tuerie de masse contrairement aux Américains. Cela risque de ne plus être vrai prochainement, même si nous avons échappé au pire cette fois-ci.

Il y a fort à parier que ce thème de l’insécurité va faire une entrée en force dans la campagne présidentielle, comme François Fillon et Marine Le Pen ont déjà commencé à l’utiliser. J’ai néanmoins relevé la modération insolite de Christian Estrosi, le président de la région PACA, qui se contente de prôner la sanctuarisation des établissements scolaires en défendant sa politique sécuritaire à Nice. Serait-il devenu subitement plus conscient des difficultés de se prémunir contre toute forme de violence, après l’attentat meurtrier au camion fou de l’an dernier, dont il a tenté de se défausser sur l’état ? Ou bien, la personnalité de l’agresseur, qui serait le fils d’un notable local, un conseiller municipal élu sous l’étiquette Front national, mais qui a rejoint depuis le maire les Républicains, tout en appartenant au RPF de Christian Vanneste, homophobe notoire et soutien de François Fillon, aurait-elle influencé son jugement ?