Comme un canard sans tête

Vous vous rappelez peut-être le sketch de Robert Lamoureux, intitulé « la chasse au canard » dans lequel l’humoriste nous narre par le menu les péripéties de la famille, composée de Papa, Maman, la bonne et lui, pour tenter d’occire un canard afin de le cuisiner. Le leitmotiv sur lequel est fondé le comique de répétition consistait à scander le récit d’un « et le lundi, le mardi… le vendredi, le canard était toujours vivant ! » Le feuilleton de l’affaire Fillon, surnommé Pénélopegate, me fait irrésistiblement penser à cette histoire.

Depuis que le Canard enchaîné a débusqué ce scandale, on se demande tous les jours comment Fillon peut être encore vivant politiquement. Dès le début, il a complètement mésestimé son importance en se contentant de traiter ces révélations par le mépris. En effet, le mercredi matin, le canard Fillon était toujours vivant, et depuis il continue de s’agiter sans se rendre compte qu’il a déjà perdu la tête. Il me rappelle l’anecdote, vécue cette fois et non pas imaginaire, que de nombreux Français ont pu rencontrer au temps où il était courant d’acheter des volailles vivantes. En l’occurrence, il s’agissait d’un canard conquis de haute lutte en mer. L’animal, enduit de graisse pour rendre sa capture plus difficile, était lâché à quelque distance du rivage et appartenait à celui qui réussissait à l’attraper. L’exploit de le ramener à terre n’était rien par rapport à celui qui consistait à lui trancher le cou, surtout quand on ne disposait que d’une médiocre hachette à peine bonne à fendre du bois, et qu’on n’affûtait guère de crainte d’un accident domestique. Une fois le décollement effectué à grand-peine et grand renfort de sang versé, le canard continuait à courir partout, comme si de rien n’était.

Si le candidat Fillon n’est pas encore lâché politiquement par ses soutiens, en particulier de fraîche date, cela ne saurait tarder, à condition qu’ils se mettent d’accord sur le nom d’un remplaçant, dont les chances sont déjà hypothéquées. Et pendant ce temps-là, niant l’évidence, par réflexe d’animal politique, François Fillon continue à se dire victime d’une machination médiatique, sans jamais s’exprimer sur le fond de l’affaire, celui de l’emploi présumé fictif de sa femme et peut-être de ses enfants. Il s’arque boute sur son droit de faire travailler des membres de sa famille quand le principal grief qui lui est reproché est d’avoir enfreint la loi en rétribuant ses proches pour un travail largement imaginaire. Même si aucune preuve formelle ne pouvait être apportée de ses agissements, le mal est fait aux yeux de l’opinion. François Fillon est déjà mort politiquement et il semble le dernier et le seul à ne pas s’en être aperçu.