Les jumeaux cosmiques

À l’occasion de la sortie de son dernier film, aussi foutraque et réjouissant que son auteur, l’acteur Édouard Baer s’est confié à des journalistes sur son itinéraire d’enfant gâté par la vie et sur les hasards de l’existence qui l’ont amené à cette carrière artistique. Il nous a ainsi appris qu’il aurait voulu faire de la politique, mais qu’il avait été recalé à Sciences Po, contrairement à Anne Roumanoff, que cela n’a pas empêchée de se reconvertir dans le show-biz. De son côté, Emmanuel Macron a échoué au concours d’entrée à l’école normale supérieure, avant de se tourner vers la politique et la finance.

Vous me voyez venir. À l’image de l’ancienne émission de téléréalité, vis ma vie, que se serait-il passé si leurs destins avaient été échangés ? Si chacun de ces faux jumeaux avait suivi sa pente première ? je sais ce que vous allez me dire : Édouard Baer a 50 ans et Emmanuel Macron seulement 39. Ce paradoxe n’est qu’apparent. Depuis qu’Albert Einstein a formulé sa théorie de la relativité, on sait que le temps s’écoule différemment dans l’espace que sur la terre, et il est très logique qu’après avoir voyagé dans les hautes sphères de la finance, Macron soit revenu sur terre plus jeune que son jumeau. À l’évidence, Emmanuel aurait dû continuer dans la voie théâtrale pour laquelle il avait montré tant d’inclination et de prédispositions. La politique y aurait perdu un peu, et encore, mais la culture y aurait peut-être gagné un formidable acteur, capable de reprendre le répertoire classique, à défaut d’exceller dans l’improvisation comme Édouard. Et que dire du formidable bénéfice secondaire de se débarrasser d’un miroir aux alouettes qui fausse le jeu politique français déjà suffisamment compliqué comme ça ?

J’imagine la trajectoire politique qu’aurait pu tracer le trublion plein de fantaisie qui dynamite la société du spectacle à chacune de ses apparitions. Quelque chose comme le parcours de Coluche en 1981, dont le programme tenait essentiellement dans le projet imagé de « leur foutre au cul », vulgarité en moins. Car Édouard Baer n’a pas été élevé par la famille Groseille comme dans « la vie est un long fleuve tranquille ». Il est tout à fait capable de proférer des horreurs avec la plus parfaite courtoisie, digne d’un Jean Rochefort. Cependant avec lui, la 6e république ne serait pas un vain mot et la fonction présidentielle aurait été considérée comme un des beaux-arts, ce qui nous changerait grandement. On m’objectera que la direction de la France requiert un minimum de sérieux, bien que d’innombrables contre-exemples pourraient démontrer le contraire, mais n’oublions pas que les Restaurants du cœur ont été fondés par un fantaisiste, qui en avait à revendre.