« Laëtitia ou la fin des hommes » *

Cela aurait pu s’appeler Laëtitia, enfance gâchée, confiance trompée, destinée tragique, vie détruite, les expressions ne manquent pas pour illustrer l’itinéraire d’une jeune fille de 18 ans, innocente, qui portait pourtant avec elle tous les signes possibles de sa fin inhumaine. C’est peut-être parce que son histoire est à désespérer de l’humanité ou de la domination masculine, qu’Ivan Jablonka, écrivain des sciences sociales comme il se définit lui-même, a souligné ainsi le titre de son ouvrage.

Vous ne vous souvenez peut-être pas de ce qui fut un fait divers sanglant en janvier 2011, à la fois banal et exceptionnel, il y a tout juste cinq ans : la disparition de Laëtitia, adolescente sage, un soir après son travail et retrouvée en partie démembrée au fond d’un étang quelques semaines plus tard, puis le reste de son corps dans un autre temps deux mois plus tard !

Cela aurait pu n’être qu’un enlèvement de plus hélas, mais l’évènement a pris très vite une dimension nationale énorme, en raison de la récupération politique entre autres que le président Sarkozy s’est empressé de faire, déclenchant un affrontement sans précédent avec l’appareil judiciaire et de l’attachement à la victime de la part de tous les médias. L’auteur de ce livre a travaillé, enquêté sans oublier la moindre ramification de l’affaire, interviewé les proches, les responsables de l’enquête judiciaire et policière, côtoyé les journalistes d’une façon tellement complète et rigoureuse, qu’on y trouve des réponses à nos interrogations sur le fonctionnement des institutions, base de notre démocratie, prenant le cas de Laetitia comme un cas d’école et bien plus encore par l’empathie, la compassion qu’il s’autorise à exprimer pour tous les acteurs de ce drame, victimes ou bourreaux !

Le décryptage du rôle des services sociaux, de la machine judiciaire, de la technique policière et des hommes qui sont derrière, impliqués et compétents, mais manquant cruellement de moyens, des mobiles psychologiques et affectifs des victimes (car il n’y a pas que Laëtitia à être brisée dans cette affaire) et des bourreaux (car il n’y a pas que le meurtrier à être coupable des hiatus, des dysfonctionnements, des transgressions), est absolument remarquable. Cet ouvrage a bien mérité les deux prix qui lui ont été attribués l’année dernière : prix Médicis et prix le Monde…

Cela aurait aussi pu faire l’objet d’un roman policier, ce qu’il est quand même en quelque sorte, mais l’honnêteté, l’intégrité, la qualité d’enquêteur, la capacité de mise à distance de l’écrivain autant historien que journaliste en a fait un ouvrage de référence politique et sociale sans jamais porter atteinte à la dignité de Laëtitia ni des autres protagonistes de ce tragique évènement, même haïssables.

Ce n’est pas un ouvrage facile à lire, j’ai pleuré souvent, difficile de ne pas être émue par l’acharnement des circonstances sur des individus fragiles se battant contre leur destinée implacable, et de ne pas être révoltée par l’ignominie humaine, mais il y a des réalités qu’il faut regarder en face, pour mieux les combattre sans doute.

L’invitée du dimanche

*éditions du seuil 21 € broché ou ebook

Commentaires  

#1 Louisette Guibert 15-01-2017 19:27
Ce qui est particulièrement intéressant dans ce livre, c'est l’analyse qui croise les violences faites aux femmes avec les violences sociales...
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