Un chroniqueur ne devrait pas dire ça

Et encore moins l’écrire. Lorsqu’une personnalité disparait, il est de rigueur de ne retenir que ses côtés positifs et de gommer tout ce qui pourrait fâcher dans ses positions ou son caractère. Pourtant, François Chérèque symbolise le virage d’un pan entier du syndicalisme qu’il a entraîné vers un réformisme à tout crin, préférant toujours un mauvais accord à un conflit de longue durée, si l’on excepte le combat contre le CPE, qu’il a mené au côté des autres grandes centrales syndicales.

L’hommage appuyé que lui a rendu son successeur à la tête de la CFDT, Laurent Berger, est en réalité un plaidoyer pro domo, justifiant après coup les compromis sur la réforme des retraites, pour mieux faire passer la position de la CFDT sur la récente et controversée réforme du Code du travail. Pour rester honnête vis-à-vis de François Chérèque, il faut regarder l’évolution de la CFDT sur le long terme. La centrale syndicale était à l’origine confessionnelle, elle est née de la scission de la Confédération française des travailleurs chrétiens, dont la majorité prend le nom de CFDT en 1964, tandis qu’une minorité continue sous le nom de CFTC. Le nouveau syndicat prendra une place importante dans la recomposition de la gauche alors en cours et se bâtira autour du concept d’autogestion, défendu politiquement par Michel Rocard et le PSU. Depuis cette origine très à gauche, la centrale n’a cessé de se « recentrer ». D’abord en prônant l’indépendance syndicale, puis en défendant la culture du compromis et des accords grignotés sur le patronat, par opposition aux grandes victoires et aux avancées décisives recherchées par d’autres centrales syndicales.

La CFDT maintient ce cap depuis lors, quitte à laisser partir de fortes minorités comme celle qui donnera naissance à Sud en 1988. Ce sera aussi le cas lorsque François Chérèque s’engagera à titre personnel à signer la réforme des retraites, voulue par François Fillon, contre l’avis des autres centrales et d’une partie importante de sa base en 2003. Il poursuit ainsi la ligne de Nicole Notat, à qui il a succédé et qui avait soutenu la réforme de la sécurité sociale proposée par Alain Juppé en 1995. François Chérèque aura permis d’assoir durablement cette ligne basée sur le réformisme, devenant l’interlocuteur privilégié des gouvernements en leur permettant de faire passer des pilules très amères avec un semblant de légitimité et en en tirant, pour son syndicat, des avantages substantiels tels que la gestion de l’UNEDIC ou de la CNAM et une rente de situation qui se traduit par une progression dans les élections professionnelles. La sincérité de François Chérèque n’est pas à mettre en question. A-t-il rendu service à son pays et à ceux qu’il souhaitait défendre ? Rien n’est moins sûr.