Fusibles

Dans l’esprit de la 5e République, qui avait été pensée et faite sur mesure pour le général de Gaulle, le chef de l’état était la clé de voûte des institutions. Le rôle du président et son autorité ont été encore renforcés par l’amendement de la Constitution prévoyant son élection au suffrage universel. Dans ce système, le président, au-dessus des partis, nomme le Premier ministre et approuve la constitution du gouvernement, chargé de mettre en œuvre et de conduire la politique de la nation, telle qu’elle a été définie par le chef de l’état.

Le président, élu pour 7 ans, assurait la continuité du pouvoir, tandis que les députés et sénateurs jouaient un rôle subalterne, au point de devenir des « godillots » du régime, se contentant d’enregistrer les décisions venues d’en haut. Dans ce système, le Premier ministre pouvait être sacrifié en cas de nécessité, telle qu’un mécontentement populaire, afin de préserver le chef de l’état. On parlait ainsi de « fusible » pour bien montrer qu’il valait mieux une petite panne temporaire que de risquer l’incendie de toute la maison. C’est dans ces circonstances que Georges Pompidou fut remplacé par Maurice Couve de Murville après les « évènements » de mai 68.

Plus de 50 ans plus tard, l’usage et les révisions constitutionnelles ont fait évoluer le modèle dans une autre direction : le quinquennat et l’inversion du calendrier électoral ont rendu aux partis un rôle plus important, et l’institutionnalisation des primaires a bousculé la hiérarchie traditionnelle. Au point que ce sont à présent les présidents, passés ou en exercice, qui endossent la responsabilité du mécontentement populaire et en payent le prix, tandis que leurs Premiers ministres semblent exonérés de toute implication dans les difficultés rencontrées par le pays. C’est d’abord Nicolas Sarkozy qui a fait les frais de la politique menée au cours du quinquennat précédent, en étant éliminé dès le premier tour de la primaire de la droite et du centre, alors que François Fillon était désigné triomphalement pour représenter les mêmes idées et la même orientation politique. C’est ensuite François Hollande, empêché par son impopularité de se présenter à la primaire de gauche, tandis que Manuel Valls, qui a mené et mis en musique la même politique, est crédité de 45 % d’intentions de vote en sa faveur quand il sera candidat à la primaire, ce qui ne saurait tarder. Tout se passe donc comme si c’était le Président qui était désormais le fusible du Premier ministre. Ce qui ne leur garantit en aucun cas un résultat positif, tant on a surtout pu observer une volatilité de l’électorat qui ne semble plus savoir à quel saint se vouer, laissant la porte ouverte à toutes les aventures.