À tu et à toi

Dimanche dernier, en marge des résultats du second tour de la primaire de la droite et du centre, s’est déroulée une petite saynète, dont je veux te faire profiter, ami lecteur, si d’aventure elle t’a échappé. Pourquoi est-ce que je te tutoie, aujourd’hui, alors que d’habitude je te vouvoie ? Tu vas comprendre. Sur le plateau de France 2, Daniel Cohn-Bendit commente les résultats quand Jean-Luc Mélenchon est interviewé en duplex. S’ensuit une discussion entre les deux. Dany « le rouge » interpelle son interlocuteur en le tutoyant comme il en a l’habitude : « Jean-Luc, si tu te présentes à la primaire, tu peux la gagner… »

Interruption sèche du candidat de la France insoumise, qui lui enjoint de l’appeler par son nom de famille, car ils ne sont pas amis. Vexé, Cohn-Bendit lâche un : « va te faire voir… » supposé clore le débat. Bien sûr, cette altercation ne vient pas par hasard. Voilà des mois que Daniel Cohn-Bendit asticote Jean-Luc Mélenchon pour qu’il participe à la primaire de la gauche, allant jusqu’à le traiter de poule mouillée. Le temps n’est plus où Mélenchon, alors candidat du front de gauche pour les élections régionales, tentait de convaincre Cohn-Bendit de faire alliance pour remporter ensemble un maximum de régions. Le tutoiement et le prénom ne lui posaient alors aucun problème. Nous savons bien que même les adversaires politiques se tutoient fréquemment en privé, à force de se côtoyer. Ils évitent généralement de le faire en public afin de ne pas donner une impression de connivence qui brouillerait leur message.

Daniel Cohn-Bendit a toujours fait exception en tutoyant assez systématiquement ses interlocuteurs et en appelant ses adversaires politiques « mon pote » par antiphrase. Ainsi en 2009 sur l’antenne de France 2, au cours d’une passe d’arme sur sa supposée connivence avec Sarkozy, il apostrophe François Bayrou : « eh bien, mon pote, je te dis, jamais tu seras Président de la République ». On peut donc comprendre pourquoi Mélenchon a apprécié modérément de se faire appeler lui aussi mon pote par l’ancien porte-parole de mai 68 en juin dernier quand il lui disait : « toi qui es persuadé de devenir président, ben vas-y mon pote ! va à la primaire ! » Personnellement, je n’ai rien contre le tutoiement, à condition qu’il ne représente pas une forme de supériorité, voire de condescendance à l’égard de celui qui est tutoyé. On se souvient de la réponse de Mitterrand à un militant qui lui demandait s’il pouvait le tutoyer : « comme vous voulez… »