Extrême onction

Les dirigeants du monde entier s’apprêtent à accompagner Shimon Pérès à sa dernière demeure. Comme il est d’usage, le défunt sera paré de toutes les qualités et l’on ne voudra retenir de sa longue carrière que les accords israélo-palestiniens d’Oslo, qui lui vaudront le prix Nobel de la paix en 1994 en compagnie de Yasser Arafat et de Yitzhak Rabin. Les éloges funèbres feront état de cette recherche de la paix en passant sous silence le rôle de l’ancien ministre de la Défense qui a permis à Israël de se doter de l’arme nucléaire et qui a encouragé l’implantation de colonies en Cisjordanie.

Pour l’opinion internationale, Shimon Pérès est l’incarnation du parti travailliste, ce qui ne l’a pas empêché de demander le soutien de Kadima, parti centriste, pour se faire élire président de la République, une fonction honorifique qu’il a occupée de 2007 à 2014. Ses efforts, sincères, en faveur de l’instauration de deux états en Palestine, ne survivront pas à l’assassinat de Rabin. Dans le concert de louanges, on guettera en vain les voix des pays arabes. Pour beaucoup, il est resté le « boucher de Cana ». Cumulant en 1995 les postes de Premier ministre et de ministre de la Défense, il ordonne le bombardement de la ville de Cana au cours duquel 106 civils, qui s’étaient réfugiés auprès de la force des Nations Unies, trouveront la mort, mettant un terme à l’opération « raisins de la colère » au sud du Liban.

Le personnage de Shimon Pérès reflète toutes les ambiguïtés de l’État d’Israël, dont l’histoire se confond avec la sienne. Qualifié de « père fondateur », il arrive en Israël à l’âge de 11 ans et côtoiera les premiers dirigeants du nouvel état dès son indépendance. Il ne cessera plus de jouer un rôle dans la politique de son pays jusqu’à son décès. Il fera partie de coalitions que nous jugerions contre nature et il incarnera ce que nous appellerions une forme d’opportunisme pour tenter de conserver une part de pouvoir. Et dans l’exercice de responsabilités en Israël, il y a nécessairement celle de faire la guerre. L’état a été fondé sur un malentendu sur une terre supposée sans peuple pour un peuple sans terre. Les colombes les plus convaincues sont forcément aussi les faucons les plus résolus, en fonction des circonstances. Shimon Pérès ne fait pas exception à cette règle et il a dû assumer le péché originel de cette situation. L’hommage qui lui est rendu correspond à cette onction in extrémis grâce à laquelle à l’approche de la mort, le patient est délivré du fardeau de ses péchés et obtient la guérison de l’âme à défaut de celle du corps. RIP.