Bruxelles, nid d’espions ?

L’affaire pourrait faire grand bruit à deux mois des élections européennes, alors que pour l’instant elle est reléguée aux pages intérieures comme l’on disait au temps presque révolu de la presse exclusivement imprimée. Selon les services de renseignement tchèques, un certain nombre de députés européens auraient été recrutés par la Fédération de Russie en vue de répandre une propagande pro-russe et de défendre les positions de Poutine en public et jusqu’au sein de l’hémicycle européen. Le réseau contrôlé par le Kremlin émettait des messages par l’intermédiaire du site Internet « Voice of Europe » actuellement désactivé et aurait approché ou payé des députés pour relayer sa propagande antiukrainienne.

Si les faits sont avérés, le scandale serait énorme. Les pays les plus influents, dont l’Allemagne ou la France seraient touchés. Un parti d’extrême droite, l’AFD allemand est nommément désigné et les libéraux du groupe Renew ou les Verts ont demandé une enquête interne au parlement. S’agissant de la crédibilité de ces manœuvres russes, elle est totale. L’espionnage tous azimuts des pays étrangers, y compris théoriquement alliés, est un sport national remontant à l’époque des tsars et ne s’est jamais démenti jusqu’à nos jours, notamment pendant la guerre froide. Pour être honnête, les États-Unis en font de même, et probablement la Chine également. Cette affaire du « Russiagate » éclate à un moment stratégique. Elle pourrait jeter le discrédit sur l’ensemble des institutions européennes, et paradoxalement favoriser les partis les plus anti-européens, qui ont déjà le vent en poupe à l’approche du scrutin. L’enquête s’annonce longue et délicate. Aucun nom n’a encore filtré, et il faudra respecter la présomption d’innocence. Les déclarations publiques de certains députés, tels que Thierry Mariani, rallié au Rassemblement national, et notoirement pro-russe par exemple, seront scrutées à la loupe.

Ces tentatives d’entrisme ne sont pas récentes, comme en témoigne l’histoire de Tatjana Zdanoka, élue lettone depuis 2004 et en contact pendant près de 20 ans avec deux agents du FSB, le service de renseignement russe, dont elle semblait prendre les ordres pour ses activités en faveur des minorités, Basques, Catalans, Corses, Écossais, ou encore Russes en Lettonie. Elle a d’ailleurs été exclue du groupe des verts et de l’alliance libre européenne pour avoir voté contre la condamnation de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Son peu de précautions plaiderait d’ailleurs pour une adhésion idéologique aux thèses de Moscou, qui n’aurait pas nécessairement été renforcée par une corruption financière ou matérielle. Quelles que soient les motivations, ces tentatives d’influence sont évidemment inacceptables. Il reste à déterminer l’ampleur du phénomène. S’agit-il d’un comportement limité à certaines formations politiques, et de façon marginale, ou bien d’un phénomène plus répandu, voire généralisé ? La confiance qui subsiste encore envers les élus en serait évidemment grandement affectée.