Flagrants délits

Aujourd’hui, je n’irai pas par quatre chemins. Puisque la mode semble définitivement lancée de pratiquer la dénonciation comme un des beaux-arts, au point d’être encouragée officiellement par l’administration agissant au nom de l’état, je n’aurai aucun scrupule à faire état de l’attitude et des propos de deux personnages sur l’antenne de BFMTV où ils ont leur rond de serviette et tentent d’incarner le bon sens et la modération, pour l’un, l’ordre et le droit pour l’autre. Le premier et le plus connu n’est autre que Christophe Barbier, directeur de la rédaction de l’hebdomadaire l’Express, qui se pique de littérature et de théâtre et se pose généralement en arbitre des élégances, en se plaçant au-dessus de la mêlée pour rallier les hésitants à sa position moyenne d’extrême centre.

Faisant fi de sa prudence habituelle, Christophe Barbier prenait avant-hier soir fait et causes pour une proposition d’un député Modem tendant à légaliser l’affichage public de photos de citoyens soupçonnés de vol à l’étalage, une pratique illégale tendant à se généraliser chez les commerçants excédés par ces larcins, sans attendre la moindre condamnation de justice. Une pratique répandue outre-Atlantique sous le nom de « name and shame », nommer et faire honte, qui pourrait se concevoir quand elle vise à rétablir l’équilibre devant l’impunité des grosses sociétés, mais absolument pas dans un état de droit, où les citoyens peuvent obtenir justice devant des juridictions impartiales. Deux des chroniqueurs et la présentatrice de l’émission ont d’ailleurs émis ces réserves, mais Christophe Barbier a reçu le soutien de Charles Consigny, avocat et soutien de ce qu’il reste de la droite dite républicaine, qui s’est assis sur ses propres convictions, si tant est qu’il en ait, en faisant fi de la présomption d’innocence qu’il défend à tout propos et hors de propos quand il s’agit de certains personnages publics mis en cause par le mouvement féministe par exemple.

Je doute que la proposition de loi du Modem aboutisse, mais la tendance à la dénonciation, elle, ne cesse de s’affirmer. Il faudra bientôt réouvrir des bureaux, voire réinstaller des Kommandanturs dans les moindres sous-préfectures pour traiter les dossiers de délations qui risquent de se multiplier grâce aux encouragements de l’état qui va étendre le dispositif des « aviseurs fiscaux » qui permet de dénoncer son voisin, soit par pure malveillance ou par envie, soit même pour obtenir un avantage financier personnel en contrepartie, selon le montant récupéré par le fisc. Un nouveau pas semble franchi, au moment où la traque aux piscines non déclarées et même aux simples cabanons, à grand renfort de drones et d’intelligence artificielle bat son plein. Bienvenue dans le monde idyllique de la défiance généralisée où la réalité dépasse la fiction de Georges Orwell.