Grand prix de l’humour politique

Je l’aurais volontiers décerné à Charles Michel, le président du Conseil Européen, qui n’a pas attendu la proclamation des résultats de l’élection présidentielle russe pour adresser ses félicitations pour sa victoire écrasante à Vladimir Poutine, candidat à sa réélection après 24 petites années au pouvoir, et pour continuer à opprimer son peuple, dont une partie est une victime consentante, jusqu’en 2030, et plus si affinités. Charles Michel suit en cela une tradition belge, comme Yves Leterme interviewé en 2007 sur sa connaissance de « la Brabançonne », l’hymne national belge, qui avait entonné sans le moindre complexe un : « allons enfants, de la Patrie » laissant le journaliste sans voix.

Le résultat du scrutin présidentiel ne fait guère de doute, puisque tout a été planifié pour qu’il soit conforme aux prévisions. Il faut qu’il soit large, mais crédible. Le maître du Kremlin aurait demandé un score dans la zone des 80 %. Un score flirtant avec les 100 % serait contre-productif et ferait trop penser à une manipulation, qui est pourtant élevée au rang de sport national depuis l’époque soviétique. Le scrutin s’étale sur trois jours, ce qui laisse largement le temps de « recompter » les bulletins jusqu’à ce que les objectifs soient atteints, à la voix près. Une innovation technologique, le vote électronique rendu obligatoire dans les administrations, va rendre impossible tout contrôle a posteriori, au cas, improbable, de contestation des résultats. De la même façon, Vladimir Poutine, même s’il n’a pas hésité à se débarrasser définitivement de son seul opposant crédible, Alexeï Navalny, et à écarter la plupart des candidatures concurrentes, a tenu à conserver trois adversaires fictifs pour entretenir une illusion de pluralisme.

Dans ce contexte, je ne sais pas comment il convient d’interpréter les incidents qui ont été relevés depuis l’ouverture du scrutin, allant même jusqu’à incendier des bureaux de vote. S’agit-il de gestes dirigés contre le régime, malgré les purges régulières et la répression qui entoure les faits et gestes du chef suprême, ou bien de provocations orchestrées par le FSB, la police politique au service du pouvoir ? le doute est permis. Ces « attentats » sont utilisés pour renforcer le réflexe patriotique autour du nouveau petit père des peuples, dernier rempart contre les « Nazis », justifiant ainsi toutes les exactions éventuelles, au nom de la défense de la Patrie, et notamment « les opérations spéciales ». Si c’est le cas, je proposerais de remettre au nouveau Tsar de toutes les Russies, et pour l’ensemble de son œuvre, un prix spécial du jury, celui de l’humour noir. Quant aux futures élections, je ne pense pas qu’il soit nécessaire de gaspiller le moindre kopeck pour une mise en scène aussi pauvre. Il suffirait d’introduire dans le scrutin une clause de tacite reconduction, largement suffisante.