Le goûter des généraux

C’est le titre d’une pièce peu connue de Boris Vian, publiée en 1962 après sa mort, qui met en scène 4 généraux qui s’ennuient en attendant de trouver un adversaire à qui faire la guerre. Comme des gamins qui jouent à la guerre avec des soldats de plomb, ils échafaudent des plans autour du gâteau du goûter. C’est à cette histoire que j’ai pensé en entendant parler du dernier scandale en date relatif à la divulgation de conversations supposées secrètes au sein de l’état-major de la Bundeswehr, mais qui ont fuité sur les réseaux sociaux, mettant dans l’embarras le Chancelier allemand au moment même où il répliquait à Emmanuel Macron pour exclure toute intervention sur le sol ukrainien.

L’affaire n’est pas tant gênante sur le fond que sur la forme. Les Russes ne sont pas naïfs au point de penser que les Occidentaux ne préparent pas des plans répondant à toutes les éventualités dans le conflit qu’ils ont engagé contre l’Ukraine. Cela leur a simplement permis de trouver un prétexte pour désigner l’Allemagne comme leur ennemi public numéro un en réactivant le spectre du nazisme dont ils accusent le régime de Volodymir Zelenski et tous ceux qui le soutiennent. Sur le contenu des échanges, on peut difficilement faire plus explicite puisque les militaires allemands explorent les conditions par lesquelles on pourrait aider les Ukrainiens à détruire ou endommager gravement le fameux pont de Kertch qui relie la Crimée à la Russie. Il a déjà été frappé, mais provisoirement et sa reconstruction permet un certain trafic. Pour le détruire, les Ukrainiens auraient besoin des missiles Taurus, que l’Allemagne refuse toujours de leur livrer pour ne pas être taxée de co-belligérance, car ils pourraient frapper le territoire russe dans la profondeur.

L’autre aspect de l’affaire c’est la fragilisation évidente du camp occidental. On ignore encore si la fuite provient de l’usage inconsidéré d’un logiciel non sécurisé qui aurait été piraté et aurait donc profité aux services russes, s’ils ne l’ont pas fait eux-mêmes, ou bien s’il s’agirait d’une « taupe » infiltrée à un niveau élevé, qui aurait vendu la mèche. Dans les deux cas, le résultat est désastreux et il brouille le message en détournant l’opinion du plus important qui demeure l’agression caractérisée de Wladimir Poutine pour s’emparer de l’Ukraine, en attendant plus. Mais si je reviens à mon analogie avec le pamphlet théâtral de Boris Vian, à l’humour noir grinçant qui le caractérise, il me faut citer la chute, qui est tout sauf réconfortante, car les généraux organisent une séance de roulette russe (tiens, tiens) dont ne sortira vivant qu’un perroquet répétant mécaniquement : « pour un jeu de cons, c’est un jeu de cons »